Poèmes

Xc

par Philippe Delaveau

Si tu savais comme nous l'avons cherchée

Par ces nuits sans lune, sous l'amère pluie;

Nous avons marché jusqu'à l'accablement

Et la chouette cachée nous narguait de son rire.

Soudain un vaste champ découvrait l'horizon;

L'aube tentait de percer le brouillard;

Il y avait de pauvres bois grelottant sous la pluie,

Perdus parmi les emblavures silencieuses.

Et là-bas nous disions : nous en sommes tout près,

Mais le bosquet franchi, la plaine dérisoire

Dépliait d'irrégulières pièces ravaudées.

Une route surgissait de la nuit, trouée

De pauvres phares qui se hâtent;

Et nous allions frapper à la porte des fermes,

Demander le pain blanc qu'on trempe dans le lait,

Debout, pendant que le manteau fume,

Avec les pieds douloureux dans les bottes trempées.

Et l'on nous regardait de derrière la table,

Sans dire un mot, attendant le départ

De ces errants qui sentent la nuit sauvage.

Nous avons battu l'herbe autour des anciens fleuves,

Suivi l'eau morte des canaux, sur le petit chemin

Le long du mercure de l'eau qui stagne;

Des nuages laiteux glissaient sous les ponts oubliés,

Avec des cygnes tristes au milieu des roseaux.

Nous avons rencontré l'homme qui taille sa vigne :

Il nous a dit : tout est si simple et vous manquez de foi.

La femme, au bord du fleuve, agenouillée au-dessus des lessives

A relevé sa tête douloureuse qui comprend tout.

Mais nous n'entendions pas sur les prairies...

Le moine découvrit dans la ténèbre

De l'église, trois baies ouvertes d'où s'écoule

Le froment pur du jour.
Ce ne peut être là, disait le téméraire,

Et nous nous enfoncions sous des ciels désolés.

La mer plus noire que la nuit de décembre

Nous attira; la fronde de l'orage, l'odeur des bois

Sur les îles lointaines; des dieux gras et luisants

Baignant dans les épices, les encens...

D'autres nuits retombèrent, nous revenions,

Avec des rideaux frémissants d'arbres frêles,

De silencieux appels parmi les branches, d'oiseaux infimes

Et joyeux; et la senteur des fleurs qui hument le silence.

Tu te disais pourtant : nous la sentions si proche

Au sel qui venait oindre nos fronts constellés

De sueur.
Et la plaine était nue, la ville déploya

Son grand désert sous les ombrages de la pluie.

Si belle, disais-tu, avec sa porte entrebâillée,

La nappe disposée sur la faveur des tables,

Les trois voyageurs qui conversent, vêtus

De longs manteaux céladon, la tête enveloppée par l'or

D'une douce musique, aux yeux si doux et graves,

Tandis que dans la coupe un agneau blanc paraît, portant

Une étrange oriflamme — sur la nappe, au milieu

Du silence.



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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