Les fumées blanches au-dessus d'une cheminée, la pluie
Tourbillonnante sur le mercure des toits,
Le ciel enfumé, lourd et marbré de voiles,
Emprisonnent la ville qui s'essouffle,
Lorsqu'on allume les ampoules sur les ponts,
Parmi les arbres erratiques de la pluie, les eaux
Tumultueuses, jaunes du brouillard.
Les oiseaux
Se sont tus depuis toujours, mais seule et blanche
Au-dessus de la boue de la
Tamise, une mouette
Survole plusieurs déserts, les entrepôts crevés,
La barge qui décline sous la rouille, et s'envole.
Qui la voit au-dessus de
Waterloo
Bridge,
Qui la contemple?
La face d'Orphée
Pourrit dans le fleuve souillé d'ordures;
Virgile
Est mon.
Qui la voit s'effacer dans la brume,
Luttant, seule, contre le vent boueux
Qui plaque au sol les dernières feuilles, pendant que
Sur le pont sonore, ferraillant ses essieux,
Un lourd convoi s'égrène, suivi rougement
D'une étoile imprécise.
II
Les voix enchanteresses clament dans le bel été :
Quelle enfance perdure encore sous les yeux?
Mais tu n'as pas connu le temps de l'abondance, quand les
arbres
Sont rois dans le verger, sous la pompe des flammes; quand
les fruits
Lèvent confusément leurs chairs ensoleillées; l'être étincelle
Dans le suave parfum des subsistances claires.
Mais nous avons
quitté
La treille des terrasses d'en haut, l'haleine bleue des caves,
Le jardin.
Nos mains rudes interrogent les cicatrices du monde,
Et nous sommes la proie des enchantements.
Le temps et l'eau
Tournoient à la base des ponts; les arbres de la ville n'ont
point
De pitié pour les espiègleries du vieil
Homère,
Lorsqu'il exprime de sa voix brisée par le chagrin, l'amertume
D'Ulysse et la rancœur des dieux, entre les devantures des
légumes.
Et que me sert sur
Tower
Bridge de guetter
Heraclite,
Près de ce cœur putride et doux du fleuve qui rejette la mer,
Et l'habille de deuil.
Surgissent dans la ténèbre empuantie des
docks,
Près des ballots de thé, qu'annonce l'odeur fauve
Des brasseries, les files claudicantes des faux sages,
Qui ont choisi l'instable et l'éphémère.
Dans l'île aux
Chiens,
S'en sont allés les théorèmes et les fables des prophètes.
Vêtu depuis les
Church's jusqu'au menton du complet bleu
Rayé comme la partition de la sonate, rapide à traverser
Fleet
Street, à joindre
Nord et
Sud,
Ganymède se hâte
Sur le ponton pourri de remonter l'horloge
(John
Spier &
Sons, garantie à vie) du quai désert,
Et dans les ruines traversées de feuillages bleuâtres,
D'autres pendules très exactement, à la seconde, sonnent
L'heure selon le temps du méridien.
Mais la mésange dans le
soir,
De son chant simple te questionne, et tu ne sais répondre.
Au crépuscule qui déploie ses tentures, s'unit sur le théâtre
De tes songes,
Mozart; et la vasque d'albâtre de l'étage
Qui domine la rue, d'où ruissellent des vignes vierges.
Quel souvenir est plus fort que la fable des sages?
L'oiseau
En sait plus long que toi.
Et tu regardes un fade géranium
Secouer dans le ciel jaune la fleur de sang,
Pendant que la pluie recommence de battre le square.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012