à
Gaston
Miron
Partie ma belle sur les navires dans le vent.
Comment ces marins et ces bûcherons,
Épris d'or les uns, d'un songe
Les autres d'eux-mêmes ignoré
(Et le crime, le courage, la simple bonté,
Parfois niché parmi eux quelque saint
À l'écoute d'un secret
Comme d'une source sous le roc),
Comment auraient-ils su
Que leur cri, leur blasphème ou leur chant
Et ce silence qui n'est pas en eux silence
Mais rumeur sans rives des paroles tues,
C'était cela leur commune fortune.
Leur véritable capitaine
Avec le sang maternel qui survivrait ;
C'était cela, cette façon de dire : amour
Ou braise, ou pain, moisson, pervenche ou mort.
Cela, rien que cela qui dans les siècles,
Dans le trop vaste arpent, dans l'enclos
Avec eux sous la neige terré
Autour d'une image immobile de
Dieu,
Donnait et donnerait un nord à leur errance,
Au chemin du deuil sous les érables
Dans la forêt blanche essaimée de lacs,
Au cœur du désert du désarroi de l'âme humiliée.
Cela comme une voile et comme une oriflamme,
Appel de détresse ou claquement de fierté,
Accueil amer et gifle amoureuse à l'avenir,
Aile déchirée de l'autrefois et du futur
Sur ces navires où dans le noir ils sommeillaient
Les bûcherons, les feuillardiers, les laboureurs,
Tous miséreux ou seigneurs, orphelins
À jamais sans le savoir, de leur lieu.
Patrie ma langue, ma mère sur les navires dans le vent.
La voix, la blondeur, le bleu,
Aile soyeuse du sourire,
La chevelure-ciel, la chevelure-fleuve.
La douce odeur sans faille
Veille un portrait du vainqueur exilé
Sous l'arabesque ciselée des armes.
Enfance, au loin la guerre, enfance close.
Mère blonde, bleue, femme première
Dans l'ombre tendre de sa mère,
Ô femme double, émerveillée
Pour ce prince rieur au plus fort du carnage.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012