Poèmes

Le Chat et un Vieux Rat

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

J'ai lu chez un conteur de fables,
Qu'un second
Rodilard, l'Alexandre des chats,

L'Attila, le fléau des rats,

Rendoit ces derniers misérables;

J'ai lu, dis-je, en certain auteur,

Que ce
Chat exterminateur,
Vrai
Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde :
Il vouloit de
Souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,

La mort-aux-rats, les souricières,

N'étoient que jeux au prix de lui.

Comme il voit que dans leurs tanières

Les
Souris étoient prisonnières.
Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher,
Le galand fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate
A de certains cordons se tenoit par la patte.

Le peuple des
Souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage, Égratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement.

Toutes, dis-je, unanimement
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,

Puis rentrent dans leurs nids à rats.

Puis ressortant font quatre pas,

Puis enfin se mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête :
Le pendu ressuscite; et sur ses pieds tombant,

Attrape les plus paresseuses. «
Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant :
C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au logis. »
Il prophétisoit vrai : notre maître
Mitis
Pour la seconde fois les trompe et les affine,

Blanchit sa robe et s'enfarine;

Et de la sorte déguisé,
Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé :
La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un
Rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour :
C'étoit un vieux routier, il savoit plus d'un tour;
Même il avoit perdu sa queue à la bataille. «
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des
Chats :
Je soupçonne dessous encor quelque machine :

Rien ne te sert d'être farine;
Car, quand tu serois sac, je n'approcherais pas. »
C'étoit bien dit à lui; j'approuve sa prudence :

Il étoit expérimenté,

Et savoit que la méfiance

Est mère de la sûreté.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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