Poèmes

Le Chene et le Roseau

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Le
Chêne un jour dit au
Roseau : «
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête,
Cependant que mon front, au
Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil.

Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage.
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrois de l'orage;
Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste. —
Votre compassion, lui répondit l'arbuste.
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas.
Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;
Mais attendons la fin. »
Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants
Que le
Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.

L'arbre tient bon; le
Roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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