Poèmes

Tircis et Amarante

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

J'avois Ésope quitté
Pour être tout à
Boccace;
Mais une divinité
Veut revoir sur le
Parnasse
Des fables de ma façon.
Or d'aller lui dire : «
Non »,
Sans quelque valable excuse,
Ce n'est pas comme on en use
Avec des divinités.
Surtout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles
Fait reines des volontés.
Car, afin que l'on le sache.
C'est
Sillery qui s'attache
A vouloir que, de nouveau.
Sire
Loup, sire
Corbeau,
Chez moi se parlent en rime.
Qui dit
Sillery dit tout :
Peu de gens en leur estime
Lui refusent le haut bout;

Comment le pourroit-on faire?

Pour venir à notre affaire,

Mes contes, à son avis,

Sont obscurs : les beaux esprits

N'entendent pas toute chose.

Faisons donc quelques récits

Qu'elle déchiffre sans glose :
Amenons des bergers; et puis nous rimerons
Ce que disent entre eux les
Loups et les
Moutons.

Tircis disoit un jour à la jeune
Amarante :

«
Ah! si vous connoissiez, comme moi, certain mal

Qui nous plaît et qui nous enchante!
Il n'est bien sous le ciel qui vous parût égal.

Souffrez qu'on vous le communique;

Croyez-moi, n'ayez point de peur :
Voudrois-je vous tromper, vous pour qui je me pique
Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur? »

Amarante aussitôt réplique : «
Comment l'appelez-vous, ce mal? quel est son nom?


L'amour. —
Ce mot est beau; dites-moi quelques

[marqués
A quoi je le pourrai connoître : que sent-on?


Des peines près de qui le plaisir des monarques
Est ennuyeux et fade : on s'oublie, on se plaît

Toute seule en une forêt.

Se mire-t-on près un rivage,
Ce n'est pas soi qu'on voit; on ne voit qu'une image
Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux :

Pour tout le reste on est sans yeux.

Il est un berger du village
Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir :

On soupire à son souvenir;
On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire;
On a peur de le voir, encor qu'on le désire. »
Amaiante dit à l'instant :

Ohi oh! c'est là ce mal que vous me prêchez tant?
Il ne m'est pas nouveau : je pense le connoître. »

Tircis à son but croyoit être,
Quand la belle ajouta : «
Voilà tout justement

Ce que je sens pour
Clidamant. »
L'autre pensa mourir de dépit et de honte.

Il est force gens comme lui.
Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte,
Et qui font le marche d'autrui.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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