Poèmes

A Peine Ivre

par Jean de Bosschère

Les mains sur le dos à peine ivre

mieux délivré que l'ivrogne véritable je ris !

Démoralisation sacrée, démoralisation, sens ici du mot aigu, point de mélodies déchues, vaines, démoralisation sacrée !

Ce n'est point avec des roses

et une traîne de paon bleu

ni avec du genièvre, des cocktails

ni avec la cocaïne, une aile de papillon

ni avec des mots en peuples de rythmes

ni avec une épée ou un poignard

que nous montons vers cette coupe

étalée dans nos cœurs déserts, —

je dis nous avec dans moi ce ganglion chronique d'illusion,

nous montons avec des haches et des barres de fer.

Plus de nouveaux quartiers

nos dégoûts cessent de les donner

aujourd'hui plus de pardons

le vide bondit, la tempête devant l'inondation.

Tout crève

la cataracte balaie les forêts des mondes.

Pulvériser l'ordre, cet ordre-ci,

renverser l'ordre des séries, des hiérarchies,

plus de vifs amputés aux couteaux des morts

plus de chants patriarcaux

les pères poussés au bûcher

leurs fils y versent les huiles.

Les mains sur le dos

à peine ivre

je ris

démoralisation sacrée.

Point de bible printanière de crimes

mais chaque jour se révolte contre la prescription de la veille.

La poésie n'a pas de frondaisons dans les jours mortels

le bras du verbe s'étend comme la béguine supplie

à travers l'éternité, ni marbre ni diamant,

poulpe ténébreux,

à travers le cyclone des signes mouvants,

matrices négatrices empoisonnées des lois,

fleurs, parfums, oiseaux, poissons, hommes, coquilles

crabe, anémone, étoile

voyageant dans les formes.

Le son d'un mot n'est point sa chair.

Le saltimbanque au balancier n'est pas poète,

mais plus arbitraire que la division du cadran d'heures

plus
Sorbonne que le système décimal.

Les jours où il n'y a pas à hurler

il faut faire silence

ou murmurer dans les anthologies

ou croasser aux théâtres

devant mille monstres bêtes.

Les mains sur le dos

à peine ivre.

Et dans le vide germent trois grains de cristal

les colonnes montent dans le désert qui n'est pas l'ordre.

Les poètes sont exterminés avec leur
Champagne

leurs ailes suaves que lèchent les femmes.

Sur les colonnes qui montent, la coupe vide,

hissé là, océan sans écume sans limite

un nouveau désert sur nos cœurs déserts.

Nous attendons, nous, moi

avec la hache et l'assommoir d'acier

écrasons les uniformes des pères d'hier

de demain

plus de chefs, noirs, blancs, jaunes, rouges

démoralisation sacrée.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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