Poèmes

Nous Partirions, C Etait Certain

par Jean de Bosschère

Il y avait eu le roulement des talons

sur les dalles funèbres des asiles

où se levaient dans le petit jour oblique

couperet oblique sur la gorge des trêves nocturnes

où se levaient les haillons qui dans le glissement désenchanté

reprenaient les las graphiques et impositions

des jours renseignés des passages sanguinaires

sous l'œil de sycophante trahissant

que nous possédions comme un phare déchirant

l'entraille et le rêve de sursis

En cette heure verdâtre la nuit agonisait

la main d'ombre du ciel lâchait la terre

entre ses phalanges usées

les anges contrits regardaient l'asile

dépliant sur des reliefs de songes

ses hardes quotidiennes

dans un bruit de rumination d'obscurs désespoirs

dans le glissement terrible des plis enchaînés

aux chutes, aux tissus décomposés des biographies

qui repartaient dans les jours

dans l'ornière de fange et les offices de carcans

Et nous partirions, c'était certain mais il y avait encore les prisons les prisons avec les patriarches des lois charitables

qui peignent les cheveux à parasites

qui sur
Péteule humaine, hagarde évidemment

foudroyée d'ordres de compas et de balances

rassemblent sous l'angle et le code parfaits

cueillent avec la grille du peigne

et la lame du tranchet

les hommes sanglants les aspérités libertaires

les asticots en même temps que les corolles

tous les cassés épiphytes et morfondus damnés

Mais nous nous levions moins tôt dans les prisons

en marge des disciplines de l'asile fugitif

mais si vous êtes suavement père

qu'une industrie alimente votre sang

vous ignorez nos créneaux

nos barreaux à l'empan d'un jeune front

les barreaux qui retenaient nos crânes d'hommes

Hommes !

Ici

dérision dardée sur nos faces et ventres d'hommes.

Ils arrivaient aux grillages

saumons captures des nasses

tous dans chaque siècle,

arrivaient avec nous aux barreaux

Par le monde et les siècles

nous insérions des millions de visages

aux grillages qui contenaient nos crânes

Le sable torride commençait à nos pieds

mais derrière l'armée des lances d'acier

souvent au-delà de la crête

le sable grouillait d'une constellation de promesses

ou la neige comme un vaste marsouin blanc

et pas une paupière écartée où glisse une pensée ni certaines ouïes ouvertes pour déjouer le vide mais c'était le désert torride et souvent la neige
puis les hommes, nous avec nos crânes insérés et enfin les barreaux devant la tentation

Et pas un garde-chiourme

ni un cuisinier ni un économe

les derniers vivres fuyaient

nos maigreurs, ossements d'asiles et de prisons

sous les ancestrales institutions d'étoiles

qui d'une férocité fatiguée regardaient dolemment

par les doigts écartés de la main d'ombre soulevée

Aux nuits d'asile on se dénombre les rachitiques, les filandreux, les acquiescents les râblés, les triomphants, les rectilignes et combien d'Aristote pour un
Platon combien de mirlitons pour un poète voyant de servants onctueux pour un divin rebelle

Pour un
Platon et un
Christ magnanime

des siècles de générations d'écoles et des millénaires de mirlitons

un panier, un vaste panier de poissonnerie

un panier d'Aristote, de curés de
Campagne

de préceptes paternels, traîtres aux espoirs de la virginité

Mais c'était l'asile nos maisons

nos prisons, géhennes, cellules, carcères

Là-bas sur la crête du poisson de neige

là où les confins du désert eussent dû porter un bananier

habitait la promesse

La promesse, le sang globule des hommes

de nous d'asile et de réclusion dans le petit jour vert cassé où remuaient nos haillons habitait la promesse aux soifs gorgée qui saoule d'aurore et de rosée là
où sans écailles ni bananier commençait l'incendie des promesses d'émeraude, de cèdre et de marbre que nous guettions que guettaient nos ciseaux et maillets
derrière les barreaux et nos famines

Là nos passions guettaient

les visages des promesses qui apparaîtraient

s'embarqueraient dans l'émeraude et le marbre

et le cèdre de nos images

Les dieux descendraient

dans les sillons de nos ciseaux

Ce fut un homme blanc

surgi aux pieds de nos barreaux préhistoriques

devant la corde nocturne de nos asiles

Il leva des doigts plus antiques

et prononça des mots vétustés

d'une voix mal hissée des tombeaux

les syllabes que nous avions maudites

sa voix de crépuscule prononça les paroles de poussière

«
En ce temps-là »

Mais l'homme blanc fut anéanti

sous un tonnerre salutaire

il ne put achever son récit

jamais il ne put reprendre le refrain

l'hiérophante du coffre d'antiquailles

s'évanouit dans notre temps venu

après les asiles d'aubes verdâtres

et les déserts torrides privés d'oxygène

notre aboi étripa le ciel d'une explosion

et toutes nos rages et révoltes

dans un seul bras arrachèrent le barreau

qui contenait nos crânes de fureur écarlate

l'œuf de nos colères qu'avaient couvé plusieurs âges

La promesse de marbre à notre famine

je dis qu'elle commençait

Toutes les bêtes qui broutent l'herbe de la terre

tous les poissons qui fermentent dans les eaux

et tous les oiseaux témoins cosmopolites

entendirent les éclats de la délivrance

la terre entendit notre cri de victoire

paroles de roc

sèves de nos espoirs triomphants

Les doigts coupables de la nuit s'étaient disculpés

les étoiles fuyaient devant les hurlements

de nos voix qui avaient l'âge de millions d'années

jamais elles n'auraient plus l'âge des temps de sable et de neige

et des mirages

Dans les steppes nous ne trouverions plus ce temps-là

aucun caillou ne porterait ce nom d'un temps

inscrit dans sa nacre

Nous étions au-delà

de la crête et du bananier

au bout du désert

nous travaillions ardemment

à notre labeur chantant

De l'émeraude, du cèdre et du marbre

nos ciseaux extirpaient de la matrice les promesses de ce temps-ci

Mais aujourd'hui

car déjà voici tombant du ciel

les sages fossoyeurs, les sages vautours

aujourd'hui

nous incinérons l'homme blanc

dans les bandelettes

de ces temps-là

Décembre 1948



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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