Il y avait eu le roulement des talons
sur les dalles funèbres des asiles
où se levaient dans le petit jour oblique
couperet oblique sur la gorge des trêves nocturnes
où se levaient les haillons qui dans le glissement désenchanté
reprenaient les las graphiques et impositions
des jours renseignés des passages sanguinaires
sous l'œil de sycophante trahissant
que nous possédions comme un phare déchirant
l'entraille et le rêve de sursis
En cette heure verdâtre la nuit agonisait
la main d'ombre du ciel lâchait la terre
entre ses phalanges usées
les anges contrits regardaient l'asile
dépliant sur des reliefs de songes
ses hardes quotidiennes
dans un bruit de rumination d'obscurs désespoirs
dans le glissement terrible des plis enchaînés
aux chutes, aux tissus décomposés des biographies
qui repartaient dans les jours
dans l'ornière de fange et les offices de carcans
Et nous partirions, c'était certain mais il y avait encore les prisons les prisons avec les patriarches des lois charitables
qui peignent les cheveux à parasites
qui sur
Péteule humaine, hagarde évidemment
foudroyée d'ordres de compas et de balances
rassemblent sous l'angle et le code parfaits
cueillent avec la grille du peigne
et la lame du tranchet
les hommes sanglants les aspérités libertaires
les asticots en même temps que les corolles
tous les cassés épiphytes et morfondus damnés
Mais nous nous levions moins tôt dans les prisons
en marge des disciplines de l'asile fugitif
mais si vous êtes suavement père
qu'une industrie alimente votre sang
vous ignorez nos créneaux
nos barreaux à l'empan d'un jeune front
les barreaux qui retenaient nos crânes d'hommes
Hommes !
Ici
dérision dardée sur nos faces et ventres d'hommes.
Ils arrivaient aux grillages
saumons captures des nasses
tous dans chaque siècle,
arrivaient avec nous aux barreaux
Par le monde et les siècles
nous insérions des millions de visages
aux grillages qui contenaient nos crânes
Le sable torride commençait à nos pieds
mais derrière l'armée des lances d'acier
souvent au-delà de la crête
le sable grouillait d'une constellation de promesses
ou la neige comme un vaste marsouin blanc
et pas une paupière écartée où glisse une pensée ni certaines ouïes ouvertes pour déjouer le vide mais c'était le désert torride et souvent la neige
puis les hommes, nous avec nos crânes insérés et enfin les barreaux devant la tentation
Et pas un garde-chiourme
ni un cuisinier ni un économe
les derniers vivres fuyaient
nos maigreurs, ossements d'asiles et de prisons
sous les ancestrales institutions d'étoiles
qui d'une férocité fatiguée regardaient dolemment
par les doigts écartés de la main d'ombre soulevée
Aux nuits d'asile on se dénombre les rachitiques, les filandreux, les acquiescents les râblés, les triomphants, les rectilignes et combien d'Aristote pour un
Platon combien de mirlitons pour un poète voyant de servants onctueux pour un divin rebelle
Pour un
Platon et un
Christ magnanime
des siècles de générations d'écoles et des millénaires de mirlitons
un panier, un vaste panier de poissonnerie
un panier d'Aristote, de curés de
Campagne
de préceptes paternels, traîtres aux espoirs de la virginité
Mais c'était l'asile nos maisons
nos prisons, géhennes, cellules, carcères
Là-bas sur la crête du poisson de neige
là où les confins du désert eussent dû porter un bananier
habitait la promesse
La promesse, le sang globule des hommes
de nous d'asile et de réclusion dans le petit jour vert cassé où remuaient nos haillons habitait la promesse aux soifs gorgée qui saoule d'aurore et de rosée là
où sans écailles ni bananier commençait l'incendie des promesses d'émeraude, de cèdre et de marbre que nous guettions que guettaient nos ciseaux et maillets
derrière les barreaux et nos famines
Là nos passions guettaient
les visages des promesses qui apparaîtraient
s'embarqueraient dans l'émeraude et le marbre
et le cèdre de nos images
Les dieux descendraient
dans les sillons de nos ciseaux
Ce fut un homme blanc
surgi aux pieds de nos barreaux préhistoriques
devant la corde nocturne de nos asiles
Il leva des doigts plus antiques
et prononça des mots vétustés
d'une voix mal hissée des tombeaux
les syllabes que nous avions maudites
sa voix de crépuscule prononça les paroles de poussière
«
En ce temps-là »
Mais l'homme blanc fut anéanti
sous un tonnerre salutaire
il ne put achever son récit
jamais il ne put reprendre le refrain
l'hiérophante du coffre d'antiquailles
s'évanouit dans notre temps venu
après les asiles d'aubes verdâtres
et les déserts torrides privés d'oxygène
notre aboi étripa le ciel d'une explosion
et toutes nos rages et révoltes
dans un seul bras arrachèrent le barreau
qui contenait nos crânes de fureur écarlate
l'œuf de nos colères qu'avaient couvé plusieurs âges
La promesse de marbre à notre famine
je dis qu'elle commençait
Toutes les bêtes qui broutent l'herbe de la terre
tous les poissons qui fermentent dans les eaux
et tous les oiseaux témoins cosmopolites
entendirent les éclats de la délivrance
la terre entendit notre cri de victoire
paroles de roc
sèves de nos espoirs triomphants
Les doigts coupables de la nuit s'étaient disculpés
les étoiles fuyaient devant les hurlements
de nos voix qui avaient l'âge de millions d'années
jamais elles n'auraient plus l'âge des temps de sable et de neige
et des mirages
Dans les steppes nous ne trouverions plus ce temps-là
aucun caillou ne porterait ce nom d'un temps
inscrit dans sa nacre
Nous étions au-delà
de la crête et du bananier
au bout du désert
nous travaillions ardemment
à notre labeur chantant
De l'émeraude, du cèdre et du marbre
nos ciseaux extirpaient de la matrice les promesses de ce temps-ci
Mais aujourd'hui
car déjà voici tombant du ciel
les sages fossoyeurs, les sages vautours
aujourd'hui
nous incinérons l'homme blanc
dans les bandelettes
de ces temps-là
Décembre 1948
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012