D'où viens-tu? ces cris de bête dans l'air crépusculaire
Sont improbables comme l'eau qui s'étire sous l'haleine du
ciel.
La nuit efface le savoir d'un jour de doute et d'avancées,
Nous saurons mieux à la fenêtre du soir,
Qui nous sommes peut-être, venus de l'incendie, disais-tu le
matin,
Croyant l'heure clémente; les forces de ton corps intactes
Pour la route (mais quelle joie?).
La journée s'éloigne
Sur la poussière, comme ces chars
Qui titubent au loin, chargés de paille fraîche, sur l'autre rive,
Avec les barques amarrées à des chaînes de rouille; et la maison
Dont la cheminée sur le sable du ciel écrit les lettres du
bonheur,
On ne l'atteint jamais : la route verse
Entre les joncs et les sureaux, et la nuit qui s'approche
Est travaillée du hurlement des navires qui partent,
Sur cette eau noire où les étoiles s'agenouillent.
À cette époque vainement courait,
Pourfendeur des nues,
Orphée;
Les mots se bousculaient sur la lyre.
Il vit : la table au creux de la vallée
Succombe sous le butin de la vendange.
Ciels rouges, vieillissement des pommes,
Je me souviens.
Toujours est lente la moisson
Après que le solitaire a lancé
Sur le poème de la terre, la semence.
Il se fait tard.
Par la fenêtre
Ouverte, le soleil s'épuise au-dessus des toitures.
Et la nuit s'en revient, déserte, sur la pluie
Des toits.
Seul toujours avec l'ange
Éployé, tel jette aux vitres écarlates,
Au soir qui tombe sur les bronzes,
Cet incendie de pages inutiles.
Écrire est vain peut-être.
Dans les enfers de
Gloucester
Road,
L'écumant dieu des souterrains
Fulmine en gerbes d'étincelles.
Il fallait plus de science et moins de zèle,
Savoir étreindre le poème avec les mots
Chargés de vie, non de fureur.
Le soleil montre un océan de plaines bleues.
Toute sagesse
Est lente à se mouvoir, ainsi les belles promeneuses
Posent tranquillement l'une après l'autre
Leurs chevilles dorées sur les pentes de la montagne.
Le temple de bois blanc dans l'air léger,
La nuit soyeuse où s'envole un corbeau.
Subsistent : les mots incertains
Se sont tus.
Nous gravitons dans un souffle
Éphémère.
Qui se souvient d'Antigone recluse?
Bérénice après que le navire eut disparu versa
Des larmes silencieuses.
Du papier blanc couvert
De mots menus s'élève une flamme.
L'hiver
Etend sur le square ses brumes vaines.
Loin,
Eurydice toujours au cœur des indistinctes nuits
S'enfonce comme au fond de l'eau lente des songes,
La pierre.
Peut-être verrons-nous, entre les oliviers,
L'ombre furtive d'Antigone.
Derrière la fontaine asséchée, l'abreuvoir
Est martelé par les jambes serviles des chevaux; elle se tait,
Silencieuse et grave dans sa robe noire.
La ville couvre la terre vierge, les vignes
De murs en ciment gris, inachevés parfois;
S'empare de vieilles rues ténébreuses; là-bas, assiège
Le marbre lacéré des ruines, les acropoles qui tremblent
Du silence des dieux.
Mais les mythes survivent
Parmi les herbes folles des places
Désertées; dans la mémoire obscure des foules, les livres.
Nous l'avons condamnée, mais nous l'aimions.
Voici
Sa sœur aux cheveux courts qui nous tient tête, d'autres encore,
Mais nous avions pour nous la loi dure, la pierre obstinée des
coutumes.
Ils se glissent avec l'oeil féroce des chats, à la tombée
De la désespérance, dans l'enclos du soir.
Sans fin
S'exile le déchu quand l'aube lève sa toile;
Ils se promènent au milieu de nous en quête d'ombre
Où faire encore avec la douleur neuve et nue
Dans le bois sacré des solitudes, résonner
Les chants de leur outrance implacable.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012