Poèmes

Les Dépravés : Écchymose

par Léopold Partisan

Souvent l’espace vital entre deux êtres
Qui s’aiment, se rassérène
Relevant autant de l’attraction des astres
Que de l’oscillation
Du pendule de Foucault

Un matin en rupture
Je me suis assis à la croisée
D’un espace piétonnier
Et de la voie principale
De la transhumance quotidienne

Curieux endroit pour se poser
Ai-je pensé
Tandis que j’extirpais de ma mallette
Un carnet à spirale sans âge
Dont je ne me sépare jamais
Et avec compassion pour moi-même
Je commençai à rédiger le présent

Qu’écrivez-vous donc
Me demanda, avec un charmant
Petit râle de gorge, une délicieuse
Contractuelle au regard aussi pétillant
Que ses formes athlétiques
Imprimaient à son inesthétique
Pantalon d’uniforme.

Un peu à la manière dont Gide
Écrivit jadis ou naguère : « Paludes »
J’écris Ecchymose
Dis-je
J’écris Ecchymoses
Oui au pluriel
Et à mon corps défendant
Plus par osmose
Que pour justifier la cirrhose
Dont je ne suis pas près de mourir
Mais qui emporta quelques amis
D’enfance, pour lesquels
En souvenir
De nos enterrements de vie de garçons.
J’allai déposer
Avec recueillement
Au pied de leur cercueil
Six baccaras pourpre ou grenat

J’écris Ecchymoses
Pour ne jamais oublier
La couperose
Qu’affabulait le visage
D’une jeune fille trop morose
Pour s’y intéresser
Et qui un soir pris le voile
Pour s’y pendre

J’écris Ecchymoses…
Mais elle n’écoutait plus
Puisqu’elle avait changé
De trottoir

Continuez me demanda
Une très vieille dame
Continuez…
S’il vous plait
J’aime la poésie qui ce récite
Dans ces rues assourdissantes
J’aime la poésie qui nous raconte
Des malheurs en plein soleil
J’aime tellement
La poésie qui se hume comme une rose
Même si elle parle d’ecchymose

Je restai coi
Gêné par l’attroupement
Qui se formait autour
De ce que d’aucuns
Prenaient déjà
Pour une attraction estivale

D’une voix hésitante
Puis de plus en plus ferme
Elle commença alors à réciter
Avec un allant et une classe
Sans égale ces vers d’Artaud
Ce triangle d’eau qui a soif
cette route sans écriture
Madame, et le signe de vos mâtures
sur cette mer où je me noie
Les messages de vos cheveux
le coup de fusil de vos lèvres
cet orage qui m’enlève
dans le sillage de vos yeux.
Il y eu d’abord un grand silence
comme une nappe de fond
Brisant gisants et tympans

Madame… Madame répétai-je
Comme un fétu de paille
Emporté par quelques vents mauvais
Si cher à Verlaine…

Madame…Elle aussi était partie
Disparue, envolée me laissant coi
Au milieu des passants qui s’égaillaient
Maintenant que l’incongrue s’était tue

Allai-je à nouveau m’asseoir
Pour dans ce bien minable
Cahier à spirale à nouveau
Me lamenter sur un sort
Aussi fictif que superlatif

Allai-je à nouveau m’asseoir
Pour encore et encore raturer
Tant du roturier
Que du flibustier
Les banderilles
Plantée à même la quille

Allai-je encore m’asseoir
Pour encore et toujours
Raturer à l’infini
Et ne jamais osé chausser
Les espadrilles ailées
Tant de l’Arthur que du Paul
Et former au landernau
L’une des escadrilles Compostelle
Qui sous d’autres tropiques
Dès le crépuscule
Constellent le ciel
De prose et de miel.

Laissant là cahiers, souliers, huissiers
Voituriers, ilotiers, média et cité
Je suis parti rejoindre
La canopée

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