«
Je vais mourir, dit la vipère,
Maintenant que je t'ai mordu.
J'aurai passé mon temps sur terre
A défendre âprement mon dû.
L'herbe était pourtant odorante
Sous la pierre chaude au soleil,
Et c'était bon, dans l'orgueil glacé du réveil,
De se savoir la plus méchante,
La plus seule de tout le bois... »
«
Je vais mourir aussi, je crois,
Dit le vieux loup qui léchait sa blessure.
Ne me parle donc plus de toi. »
Ils laissaient faire la nature.
Ils attendaient tous deux, couchés sous le même
arbre,
Avec la patience grave des animaux,
La mort et la fin de leurs maux;
S'étonnant seulement de se sentir de marbre,
Un jour d'été, en plein midi.
Après un temps, la vipère lui dit :
«
J'ai tant souffert de n'être pas aimée!
J'étais née tendre et destinée
Peut-être à fondre d'amour.
Mais quelqu'un m'a blessée un jour.
Un enfant rose et blond m'a jeté une pierre
Et m'a crié : «
Sale vipère ! »
Moi, je le regardais et je le trouvais beau.
Depuis, j'ai pourchassé tous les petits farauds
S'aventurant dans les fougères.
J'ai fait le mal partout, pour payer son mépris.
Si cet enfant m'avait souri,
J'aurais pardonné à la terre entière
D'être née vipère.
O mon cœur d'un jus noir gorgé !
Mon cœur, mon pauvre cœur toujours à se venger,
Qui voulait et ne pouvait pas aimer...
Si tu savais comme cette petite pierre
M'a fait souffrir ! »
Le loup, en l'écoutant, finit par s'attendrir
Sur les malheurs de la donzelle;
Il oubliait que lui aussi allait mourir,
Piqué par elle.
Dominant la règle de fer
Le fort est parfois charitable.
Mais les tourments obscurs des misérables
Nous coûtent presque toujours cher.
Petits garçons heureux,
Hitler ou
Robespierre,
Combien de pauvres hères
Qui seraient morts chez eux ?
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012