Au bout d'un an de mariage
Un homme se lamentait
Sa femme pourtant était belle et sage,
Chacun le félicitait :
Il restait obstinément triste...
Il ne sentait plus qu'on l'aimait
Elle avait vingt ans, lui quarante,
La différence n'était pas exorbitante —
Surtout aux yeux d'un fabuliste :
Ce n'est pas jeune qu'on les écrit,
Les fables —
Ce n'était pas là leur conflit;
Ni dans leurs disputes à table.
Il n'était pas non plus — je vois votre sourire —
Dans le malentendu que vous alliez me dire :
Ils s'accordaient fort bien au lit.
Simplette et de bonne santé,
La jeune femme paraissait avoir goûté
L'agréable retour des plaisirs de la nuit
Volontiers elle s'y prêtait;
Et parfois même, avec une impudeur naïve,
Elle en prenait l'initiative.
Un autre homme eût été comblé.
Celui-ci restait accablé.
Il s'ouvrit de sa peine, un beau jour, à sa chatte,
La caressant un soir devant le feu mourant.
«
Tu ronronnes quand je te gratte,
Lui dit-il, je sais que tu m'aimes et pourtant,
Que ton amant, le matou borgne de la ferme,
Vienne demain t'appeler sur le toit,
C'en sera fait de ton amour pour moi.
Me haïssant si je t'enferme,
Tu ne penseras plus qu'à toi.
Mais toi, tu es ma chatte, pas ma femme...
Je savais en t'aimant que tu n'avais pas d'âme.
Elle, si je te disais,
Quand je l'ai connue jeune fille,
Chez son père, sous la charmille,
Tous les serments qu'elle m'a faits.
Un vrai petit soldat qui voulait me défendre,
Me suivre partout, m'écouter.
Et le soir, au salon, toujours son regard tendre
Qui ne pouvait pas me quitter.
Pendant que je parlais à ses sœurs, à son père,
Quelque chose de chaud restait posé sur moi.
Quand j'ai dû m'absenter un mois,
Avant la noce, pour affaires,
Qui aurait pu penser qu'elle se désespère
Au point de cesser de manger ?
Imaginant mille dangers
(Et je n'étais pourtant allé qu'à
Carcassonne)
Il fallait chaque jour un mot qui la raisonne
Et la rassure sur mon sort.
Je crois bien qu'elle serait morte
Moi mort!
Maintenant qu'importe
Comment je me porte...
Je vis près d'une petite personne
Préoccupée surtout de son miroir;
Qui se réveille un peu le soir,
Gémit dans le plaisir, absente, et s'abandonne
A un sommeil boudeur où je ne suis plus rien.
Je pense qu'elle m'aime bien,
Et que faire l'amour l'amuse;
Mais son indifférence m'use...
Je me fais l'effet d'être transparent.
Son regard me traverse et va de glace
En glace
Souriant à sa propre image
Qui passe...
Et pourtant elle reste sage.
Je n'ai à me plaindre de rien. »La chatte se sentait si bien
Avec sur l'échiné, alanguie,
Les doigts savants et doux et la douceur du feu.
«
Que les hommes sont ennuyeux,
Pensa-t-elle, avec leur psychologie ! »
Elle ouvrit de tout petits yeux;
Elle bâilla discrètement
Et dit : «
Mon pauvre maître, en somme,
Tu es resté un bien petit jeune homme,
Pour tes quarante et quelques ans.
De quoi t'étonnes-tu ?
Tout est clair cependant.
Ta femme n'est pas plus ou moins gentille;
Elle n'a pas perdu son âme;
Elle est autre, tout simplement
Tu avais pris une fille,
Tu en as fait une femme,
C'est un animal différent...
Les hommes n'ont jamais compris
Ce curieux petit phénomène
Qu'ils fabriquent pourtant eux-mêmes,
Pour leur misère, en une nuit.
S'endormant au matin, glorieux de leur prouesse,
Ils pensent qu'ils auront à leur choix, dans le lit,
La
Sainte
Vierge ou bien une folle maîtresse...
Le malheur est ce qui s'ensuit.
Et l'histoire est toujours la même :
On épouse l'être qu'on aime
C'est avec un autre qu'on vit. »
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012