«
Que vous êtes peureux ! dit le lion au lièvre.
Une ombre, un souffle, un rien
(Comme dit le bon fabuliste),
Et vous voilà déjà loin,
Ayant parcouru la piste,
Essoufflé, tremblant de fièvre
Et d'effroi;
Ayant fui vous ne savez quoi...
Vous n'êtes pas gentilhomme, je le sais bien;
Mais, fût-on un homme de rien
Qui fait comme vous des ménages
(Le lion l'avait pris pour nettoyer
Sa tannière, toujours sale après le carnage),
On se doit d'avoir, sinon du courage —
Admettons que ce n'est pas là votre métier —
Tout au moins un peu de décence...
Pauvre
France!
Elle est jolie la nouvelle génération, a «
Pardonnez-moi, dit le lièvre au lion,
De vous poser une question.
De quoi avez-vous peur
Vous,
Monseigneur ? »
«
Moi ? rugit le lion en frisant sa moustache,
De rien,
Vous le savez bien ! »
La conversation devenant familière,
Il se leva noblement sur son derrière
Et dit :
«
Nettoyez donc un peu dans ce coin, mon ami,
Je crois avoir laissé des crottes. »
«
Mais enfin, l'homme et son fusil »,
Dit le lièvre, avalant sa glotte.
Le lion fronça le sourcil tout à coup
Et se dressa, toisant l'ilote
De toute sa hauteur : «
Je n'aime pas beaucoup,
Rugit-il, que l'on insinue
Que je peux avoir peur !
La peur m'est inconnue,
Je vous l'ai dit déjà.
Et l'homme n'est pas né qui m'intimidera !
L'homme lance son feu.
C'est bon.
J'avance
Sur lui.
S'il m'atteint — il m'est déjà arrivé
D'être blessé —
La belle affaire que quelques jours de souffrances!
On se cache, on lèche et relèche
Le trou.
Et puis, lorsque la plaie est sèche,
On y retourne, voilà tout. »
«
Que savez-vous donc du courage ? »
«
Hein ? » fit le lion, qui crut avoir mal entendu.
Le lièvre prit une distance qu'il crut sage,
Et poursuivit, un peu tordu :
«
Moi, rien qu'à vous parler, voyez, je suis en nage.
Et je dépense en un seul jour
Plus d'énergie,
A ne pas fuir chaque fois que j'en ai envie,
Qu'il ne vous en faudra dans toute votre vie,
Avec votre crinière et vos grosses moustaches,
Pour terroriser toute une lieue alentour.
Quoiqu'on n'y pense pas toujours :
Les vrais héros, ce sont les lâches. »
Il dit et détala, laissant son tablier.
Il court encor, dit-on.
Le lion, un peu ennuyé
(Il faut bien que quelqu'un astique,
Et au désert, on ne trouve plus de domestiques)
Sortit, feignant de manger un quartier de mouton,
Et vérifia soigneusement si personne
Ne l'avait vu être familier avec sa bonne.
Il craignait le qu'en-dira-t-on.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012