Deux pigeons, un beau jour, décidèrent
De faire désormais chambre à part.
On s'embarque pour
Cythère
Mais le voyage est long et l'un se couche tard,
L'autre se lève tôt, l'un aime lire au lit,
Pas l'autre...
La lampe même est en conflit.
On dit : «
Ayons chacun la nôtre... »
Quand on s'aime encor, c'est une menace;
Puis on aime moins et pour qu'on le fasse
Il suffit d'un mot.
Enfin, on le fit.
Le pigeon prit son oreiller, céda la place,
Galant, s'en fut dormir dans l'autre lit.
Il leur restait la tendresse, les joies communes...
Les pigeons vivent dans la lune.
Car, à ne pas faire l'amour,
L'amour, un temps prisonnier sur parole,
S'étonne, s'ennuie, puis s'envole
Et quelquefois pour toujours.
Notre pigeon trouva bientôt une pigeonne,
Voisine aimable et fort jolie personne,
N'exigeant pas trop de présence.
Douce et discrète — on respectait les
convenances —
Enfin, l'adultère rêvé.
Voyant le malheur arrivé
La pigeonne souffrit, dans son orgueil peut-être.
Elle s'en plaignit à leur maître
Qui lui dit : «
Ma petite dame,
C'est très joli d'avoir une âme
(C'est même un utile ornement).
Le pain dont vivent les amants
C'est celui qu'on mange dans l'ombre,
Échappant à la loi des nombres,
N'étant plus qu'un en étant deux.
C'est le seul instant où les
Dieux
—
Et croyez qu'ils en sont avares —
Octroient cette grâce très rare...
Sans le cœur, ce n'est qu'amoureux ébats,
Egoïste gymnastique,
Plaisir un peu mélancolique;
Mais le cœur tout seul ne la donne pas.
Vous avez triché, la chose était faite
En vous séparant.
Qui veut faire l'ange fait la bête;
Mais, fait surprenant,
La bête peut parfois faire l'ange.
Et on n'aime que ce qu'on mange.
Amants, incertains amants,
Ne dites pas : «
Si tu m'aimes... »
Faites l'amour même
En vous insultant.
Rien de moins sûr que la tendresse.
A un autre propos,
Pascal disait, prudent
«
Faites dire des messes. »
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012