Poèmes

Les Deux Jumeaux

par Jean Anouilh

Jean Anouilh

La
Reine et le
Roi — le
Roi et la
Reine,

Plus exactement —

Car la
Reine, un peu gênée par sa traîne,

Suivait lentement;

Traversant un jour le pays breton

Pour aller à
Nantes,

Entrèrent (le
Roi pour pisser, dit-on)

Chez une manante

Qui les salua, pour se prosterner

Plongeant à grand-peine,

Car elle accouchait. «
Je veux, dit la
Reine,

Que ce trait touchait,

De ce nouveau-né être la marraine. »

Qui fut dit, fut fait.

Le
Roi soulagé, partit la voiture,

Resta l'intendant,

Qui but — attendant sa progéniture —

Le vin du manant.
Sur le soir, enfin, vinrent deux jumeaux.

L'intendant, sans ordres,
Signa au registre au premier marmot

Et, sans en démordre,

Fit signer pour l'autre à un matelot

Qui fumait sa pipe

Au café voisin, observant le vent,

Comme ils font souvent,

L'œil sur le lointain, le rhum à la tripe.

Les jumeaux grandirent.

La guerre survint et le matelot,

Sur un grand navire,

Mandé par le
Roi, s'en alla bientôt.

Et les gens se dirent :

«
Nés le même jour, l'un a de la chance.

L'autre n'en a pas ;

Reine pour marraine et pour l'autre un gars

Toujours en partance,

Qui n'a même pas un pantalon neuf!

L'un d'eux sera riche,

Poussé par la cour, l'autre n'aura rien. »

Mais saint
Aurélien,

Patron du pays, n'aime pas qu'on triche —

Du moins à
Pléneuf.

Il vit le seigneur; avec éloquence

Parla du garçon;

Et, comme on était en quatre-vingt-neuf,

Ce ne fut pas long :

Dès le lendemain, la
Révolution
Eclata en
France.

Les peuples furieux coupèrent le cou

Un jour à la
Reine.

Et le matelot, se battant partout,

Toujours à la peine

Contre les
Anglais, leur fit tant de mal

Que le
Directoire,

Pour son sang versé, et pour ses victoires,

Le fit amiral.

Celui des jumeaux, de cadeaux privé,

Reçut une montre

De son bon parrain, en or, avec clé.

Le privilégié

Fit, comme l'on dit, mauvaise rencontre.

Car, dans un café,

Un officier bleu ayant insulté

La
Reine de
France,

Il le provoqua et mourut tué

Dans bien des souffrances.

Cette histoire a un refrain

Qui peut donner l'espérance

A ceux qui n'ont pas de chance...

Qu'ils méditent ce quatrain :

«
Si la marraine

N'est pas reine,

Que le parrain

Soit marin. »



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top