Poèmes

Napoléon et la Puce

par Jean Anouilh

Jean Anouilh

«
Que voulez-vous que cela fasse

A un homme comme moi, dit
Napoléon,

Les regardant

Qui l'acclamaient sous le balcon,

La vie d'un million d'imbéciles ? »

(Il dit un mot plus court que
Metternich, galant,
N'osait pas répéter aux dames.)
Au lieu de rétorquer : «
Mais,
Sire, ils ont une

[âme... » (C'était la réplique facile)
Metternich demeura de glace,
Sourit dans sa cravate et ne dit rien.
Le mot était lâché, il serait historique;
Le fin renard se doutait bien
Que le
Corse, par lui, aggraverait son cas.
Lui
Metternich, bien sûr aussi, dans la pratique-Mais lui, il ne le disait pas.

A ce moment, sournoise et rancunière,

La puce qu'il avait déjà chassée

De son gilet, par tant de sans-gêne agacée,

Piqua
Napoléon au derrière...

On a beau être
Napoléon

On ne peut pas se le gratter dans un salon.

Le masque du maître du monde

Se durcit une seconde;

Et
Metternich, sans cesser d'être souriant,

Sentit l'Europe soudain jetée sur la table

Comme un quartier de bœuf saignant.

Tranchant,
Napoléon dit : «
Non ».

Dès lors, la guerre était inévitable ;

La parole était au canon.

L'histoire n'a pas retenu le nom

De cette puce.

Elle l'aurait pourtant piqué ailleurs, ne fût-ce

Qu'un peu plus haut, un peu plus bas,

L'Empereur détendu renonçait au combat.

A quoi cela tient tout de même !

Gémit le philosophe blême :

Le nez de
Cléopâtre il eût... et cœtera.

Changeant — hélas ! trop tard pour la
France —

de place
La puce, sans marquer d'émoi,

Poursuivit son exploration

De l'impérial caleçon

Et dit : «
Que voulez-vous que cela fasse

A une puce comme moi

Le derrière de
Napoléon ? »



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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