Ils marchent sur la berge du fleuve pour la millième fois
Les arbres de l'autre rive ne les saluent même plus
Les cygnes font le poirier non pour les divertir
Mais pour se nourrir
Les fenêtres qui donnent sur la départementale
Se moquent du bruit des voitures
Car elles n'ont d'yeux que pour leur ami
Le fleuve impassible qui supporte la pollution
Avec stoïcisme
Et se souvient avec nostalgie
Des jours bénis où les pirogues des chasseurs-cueilleurs
Sillonnaient son cours paisible
L'éternel retour n'est-il pas la loi suprême de l'univers
Mais y aura-t-il encore des fenêtres
Pour contempler ce nouvel âge d'or
La patience dont elles font preuve sera-t-elle
Récompensée
Quand la nuit s'empare de la terre
Elles savent bien que les cadres lumineux
Qu'elles offrent à leur grand ami
Le dédommagent de sa peine
Si bien que pour elles et pour lui
L'âge d'or revient chaque nuit
Les reflets étincelants qui dansent
Sur ses eaux bonhommes
Ne sont-ils pas aussi beaux
Que ceux que lui dispensaient tendrement
Les lointaines étoiles d'il y a dix mille ans
Le fleuve mi-noir mi-brillant s'écoule en rêvant
Vers le futur
Qui ressemblera à son cher passé
Tandis que les feux des lampadaires et des fenêtres
Se réjouissent de créer chaque nuit
Sur le dos liquide de leur ami
Un spectacle féerique qui enchante
Les yeux des passants
Et qui n'est pas sans chuchoter à leurs cœurs
Que le meilleur est peut-être à venir
Que le fleuve qu'ils ne voient plus
À force de le longer doit savoir des choses
Qu'ils ignorent
Ou plutôt des choses qu'ils ont oubliées
Et que savaient leurs ancêtres
Aux vies brèves mais intenses
Ces ancêtres aux pirogues rudimentaires
Qui caressaient le fleuve de leurs pagaies
Et que le fleuve nourrissait
Pour les récompenser de leur contribution
À la beauté de l'univers