Poèmes

La Jument

par Jean Anouilh

Jean Anouilh

Une jument qui avait

Des obligations mondaines

(On croit que c'est pour s'amuser :

On est une femme de peine)

Décida de prendre une ânesse

Pour s'occuper de son bébé.

Ce n'était pas de la paresse,

Mais une jument élégante

A une vie si fatigante,

Que c'était trop lui demander.

Le petit poulain était tendre,

Et l'ânesse le léchait bien

Il se mit à tout en attendre.

L'ânesse ne lui passait rien

Mais le comblait de sa tendresse

Et le poulain, de jour en jour,

Nourri d'herbe tendre et d'amour,

Tendrement réprimé à chaque maladresse,

Grandit en se persuadant que

Malgré les oreilles, la queue,

Les mères étaient des ânesses.

Un beau jour, passant dans le pré,

En se rendant à quelque course,

Car elle aimait beaucoup courir

(Son maître lui en savait gré

Car c'est lui qui palpait les bourses)

La jument pensa défaillir

En entendant son petit braire.

«
Ce n'est rien, dit
Monsieur
Boussac.

Il deviendra comme ses frères,

Songeons à gagner notre sac.

Tantôt, après notre victoire,

Je vous expliquerai l'histoire.

Les enfants adorent le bruit ! »

Ce jour-là, la jument perdit,

Trop affectée par cette scène,

De plusieurs longueurs à
Vincennes.

Monsieur
Boussac, vexé, la remit au pacage.

Et, depuis, elle y vit en sage

Léchant et reléchant soi-même son petit.

Et l'ânesse mélancolique

Redevenue simple bourrique —

Car le poulain ingrat ne la reconnut plus —

Brouta exprès une mauvaise herbe et mourut



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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