Une jument qui avait
Des obligations mondaines
(On croit que c'est pour s'amuser :
On est une femme de peine)
Décida de prendre une ânesse
Pour s'occuper de son bébé.
Ce n'était pas de la paresse,
Mais une jument élégante
A une vie si fatigante,
Que c'était trop lui demander.
Le petit poulain était tendre,
Et l'ânesse le léchait bien
Il se mit à tout en attendre.
L'ânesse ne lui passait rien
Mais le comblait de sa tendresse
Et le poulain, de jour en jour,
Nourri d'herbe tendre et d'amour,
Tendrement réprimé à chaque maladresse,
Grandit en se persuadant que
Malgré les oreilles, la queue,
Les mères étaient des ânesses.
Un beau jour, passant dans le pré,
En se rendant à quelque course,
Car elle aimait beaucoup courir
(Son maître lui en savait gré
Car c'est lui qui palpait les bourses)
La jument pensa défaillir
En entendant son petit braire.
«
Ce n'est rien, dit
Monsieur
Boussac.
Il deviendra comme ses frères,
Songeons à gagner notre sac.
Tantôt, après notre victoire,
Je vous expliquerai l'histoire.
Les enfants adorent le bruit ! »
Ce jour-là, la jument perdit,
Trop affectée par cette scène,
De plusieurs longueurs à
Vincennes.
Monsieur
Boussac, vexé, la remit au pacage.
Et, depuis, elle y vit en sage
Léchant et reléchant soi-même son petit.
Et l'ânesse mélancolique
Redevenue simple bourrique —
Car le poulain ingrat ne la reconnut plus —
Brouta exprès une mauvaise herbe et mourut
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012