Pour la première fois, nous avons entendu,
ce soir d'avril orageux,
alangui, tiède, bleu,
et qui semblait comprendre,
nous avons entendu
ta voix
prométhéenne,
pour la première fois,
sans que, toujours lointaine
(mais si proche quand même), ait répondu
à nos âmes tumultueuses ou tendres
la sombre et magnifique flamme
de ton âme.
O soir d'avril mélancolique !
Tout l'éther frémissant chantait dans ta musique...
traîtrise, miroir ensorcelé des eaux dormantes
où l'arpège fluide s'enroule comme un pampre ;
flûtes de
Pan, pipeaux de faunes bucoliques ;
guirlandes frêles.
caresses dansées, caresses d'ailes
et syrinx,
chimère, énigme, et sphinx ;
désir, et fièvres,
et prisonnières lèvres...
O soir d'avril mélancolique où pleurèrent, où tournoyèrent les aériens préludes clairs !
Mais combien triste...
De même qu'il est doux, dans l'ombre du vallon
de savoir que la cime est baignée de rayons
et d'épier l'aurore d'améthyste,
tous, les plus ignorés et les plus grands des nôtres,
ceux qui furent tes plus harmonieux apôtres
et ceux qui, humblement, dans les lents crépuscules,
tendaient leurs mains aux étincelles
du sublime brasier d'Hercule,
tous, nous tentions sans trêve de nous tourner vers elle,
vers l'Ame de mystère, profonde et belle,
et que nous devinions, très pure, sur les monts,
fulgurante et universelle.
Mais ce soir sombre...
Ce fut la sonate houleuse et tragique
où clame et commande la farouche et sombre
majesté ;
et l'autre sonate, d'azur nostalgique ;
et celle où l'Eté,
ivre,
mire son clair visage émerveillé de vivre...
Mais ce soir équivoque, ce soir insidieux,
d'ombre, et de deuil,
où l'on te couchait, peut-être, dans ton linceul,
comme un homme, toi qui fus dieu...
oh, combien triste !
Mais ne soupirez pas, ô femmes, ô poètes,
le
Maître lui-même l'a dit :
Il ne faut pas que l'on regrette
les éphémères envolés
aux planétaires paradis...
Ô frère de l'harmonie ailée,
il sied que l'équitable et l'excellente mort
te ravisse vers l'immuable aurore
et la mystique essence d'autres sphères plus calmes.
Car tel était le
Rêve unique, ardent, jaloux,
de son âme.
Ah, les poètes et les femmes, pourquoi soupirez-vous ?
Souvenez-vous de sa prestigieuse voix :
il n'eut d'autre enseignement que la joie,
que la belle, sereine, et forte
Indifférence,
la noble, l'abondante et la puissante
Foi
en son labeur, en sa propre vaillance,
en
Soi !
Par les labyrinthes cruels de la sinueuse
Musique
il fut l'auguste exemple de l'inlassable effort
vers l'idéal mystérieux,
de l'escalade magnifique
vers le
Feu !
Il faut donc remercier la
Mort
et trouver des chants clairs, des rythmes éclatants,
puisqu'un mortel enfin s'approche du
Titan.
La tâche est accomplie, au prix de quelle angoisse...
Ah, les fourbes et les sournoises
vengeances,
et les silences
concertés,
devant tant, devant trop de beauté !
Ô nouveau
Prométhée,
toi aussi, tu connus
le rocher solitaire où rêve la douleur
et les chaînes rongeant les membres nus,
et le vautour nocturne
s'abreuvant à ton cœur
comme un damné collant ses lèvres à une urne...
Mais, avec la musique dont se mourait ton âme,
tu nous as prodigué la
Flamme,
et nous la possédons, quand nos sonores mémoires,
nuages qu'illuminent de féeriques parhélies,
frémissent de ton harmonieuse gloire.
Maître, la tâche est accomplie,
pourquoi donc pleurer sur des cendres ?
Il convient que ton âme,
légère, et précieuse, et ondoyante flamme
(tel un étincelant atome
erre,
et danse, et s'élance,
et puis se perd
au royaume du sylphe et de la salamandre...),
il convient que ton âme
remonte vers le
Feu
et retourne à la
Flamme !
Car, véritablement, la
Flamme est son domaine,
il la traitait en maître.
Entendez-la, vous qui pleurez, cette voix surhumaine
parlant aux puissances de l'Être ;
celui qui sut créer la subtile harmonie
ne saurait disparaître,
il est ici. Écoutez-le...
Car toute la musique
qui chantera dans ses disciples,
désormais,
sous leurs doigts hésitants et dans leurs cœurs fermés,
ce sera,
Lui, le maître bien-aimé,
qui la fera chanter
pour notre joie et notre peine.
Et, véritablement, notre douleur est vaine puisque l'Azur est son domaine...
Avril 1915.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012