Poèmes

Ne plus avoir où aller

par Argenty Jean

N'avoir plus où aller, cela signifie non pas une impasse mais une maisonnée cherchée à même la terre.
N'avoir plus où aller, soi dit en passant en l'autre, autre part que dans ce que je suis : n'avoir plus d'où aller !
N'avoir plus où aller, comme si comme, lavant du linge sale pour jusqu'à la fin des temps, des temps à ourlets.
N'avoir plus où aller, zou allée, se promenant sans qu'aucune ambition de destination viable ne me draine.
N'avoir plus où aller, lâchant des ballons dans le ciel plein de bleus, une femme atterrée, un enfant sans terre.

N'avoir plus où aller, encore fallait-il grandir et passer sa tête par le trou de la serrure, mieux vaut être.
N'avoir plus où aller, alors, la manif' attira les spectres et nombre de matricules partirent en fumée.
Mieux vaut n'avoir plus où aller, rester là sous le porche à attendre que l'aventure se présente, fumer des blondes.
J'avais de l’ambiguïté, dans le largage d'amarres. Il y a trop de femmes, trop de jeunes filles, trop de peurs.
N'avoir plus où aller signe la fin des temps plus sûrement que toute finitude des corps et des étendues.

N'avais-je pas dans mes besaces un viatique pour quelque part, un où aller qui me rassurerait ?
J'étais lassé de tout ces amarrages confus, de ces ligaments flasques au ponton pourrissant.
N'avoir plus où aller, ce n'est pas être arrivé quelque part, c'est être ce qui va, sans plus de conjecture sur l'ailleurs.
J'étais furieux, j'étais fureur, j'étais le maître des arts et lettres, j'étais l'embusqué, l'automate et la tique.
Mais il est arrivé au détour d'un vers qu'une souche vieille s'empare de mes pas et touche mes lacets.

N'avoir plus où aller c'est l'humus qui empli les narines chaudes de ton sang qui s'écoule du dedans vers le dehors
J'avais des ordures dans les poches et celles-ci se vidèrent parmi les détritus d'un sous-bois très épais
J'étais alors guère plus qu'un champignon dérisoire mais la forêt entière était moi comme elle était nue
Parmi les lichens et les chimères du pourrissement je perçu le soleil dissolvant mes ombres d'organe
Parmi les lichens et les chimères pourrissent mes ombres. Mes orbites creusent ma tombe.

Il fût un temps de girations célestes, je me prenais pour le sens, pour l'encens et la mire, la pois j'étais.
Ce qui colle et grave, ce qui contraint la muse, s'acharne sur la muselière et méduse la mente à ruse
N'avoir pus où râler, se ronger d'abstinence contre le mors équidé que l'étrille gratte au fond des plates rues
J'avais où aller, râlant, j'avais où aller, chaque matin différent m'arrachant des plèvres de destinations sublimes
Mais rien ne valait sauf à me border les précipices au fond desquels brûlaient d'immenses charniers de nombres.

N'avoir plus où aller, enfin m'est une paix, dans la maisonnée retrouvée, une maisonnée qui serait mon ventre
Mon sexe, mes yeux, mes membres étendus, tout ce que j'ai de poils et de mucus, tout ce que j'ai de larmes
Mon cœur et ma sirène, mes enfants et mes nuages au-dessus, roulant des pétards à la planète, mes arbres fruitiers.

N'avoir plus d'aller ni de retour, un juste là qui s'enfonce jusqu'au cœur de l'altérité la plus féconde, le centre
Merci Vénus, merci Circé, merci les lames inconnues qui m'ont porté là, les voiles et les ailes immobiles
Merci l'Azur et merci à tous les crayons de couleurs qui me furent offerts sans désespérer de demain.

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