Poèmes

Le Temps

par Edouard Glissant

Le temps qui peut changer
Le nuage en nuage
Et le roc en rocaille,

Qui fait aussi languir
Un oiseau dans les sables

Et réduit au silence
De l'eau pure tombée
Dans l'oubli des crevasses,

Le temps existe,
A mi-chemin.

Dans l'arbre privé de fruits et de feuilles
Qui déjà se lasse

Des rameaux jouant pour ne pas trop voir
Le soleil couchant,

Une pomme est restée
Au milieu des branches

Et rouge à crier

Crie au bord du temps.

*

La porte en bois mouillé
Au fond du jardin
Qui n'ouvrait pas,

Elle en savait long
Sur les moisissures
Et le fer des gonds

Et nous a poussés
Dans les bras du temps.

*

Des rapports sont là,
Entre vent et temps.

Mais toujours de l'ordre de la mer,
Comme des écailles,

Et nous sommes exclus.

Il y a plus de temps

Dans un chaudron troué,
Gagné par les orties,

Ou touché du soleil
Dans la cuisine égale

Que sur la route
Et les cadastres.

Entre deux méfaits

Le temps vient toucher

L'ombre son épouse

Au plus creux des chambres

Et c'est elle qui sait
Comment vont les plaies.

Un autre temps parfois vient se donner en nous
Le volume ou le poids.

Et nous voici pareils
A la pomme acceptant

De s'enfoncer dans l'air, chargée du bleu des jours
Et de la peur qui fait les nuits,

Ou pareils à la mare

Dessous les nénuphars et les nuages

Quand l'eau se pèse au poids de son heureux silence.

On ne possède rien, jamais,
Qu'un peu de temps.

Notre désir était d'aller toujours plus vite
Et plus loin que le temps,

De plonger avant lui dans le plomb de la masse
Qui est ce qui n'est pas encore,

De saisir un objet

Que le temps n'aurait pas encore habitué

Et, couché contre lui près de la rive obscure,
De voir le temps peiner vers nous
A travers siècles et nuages.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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