Poèmes

Le Singe et le Léopard

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Le
Singe avec le
Léopard

Gagnoient de l'argent à la foire.

Ils affichoient chacun à part.
L'un d'eux disoit : «
Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu.
Le
Roi m'a voulu voir;

Et, si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée,

Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée! »
La bigarrure plaît.
Partant chacun le vit;
Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit.

Le
Singe, de sa part, disoit : «
Venez, de grâce;
Venez,
Messieurs, je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin
Léopard l'a sur soi seulement;
Moi, je l'ai dans l'esprit.
Votre serviteur
Gille,

Cousin et gendre de
Bertrand,

Singe du
Pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler;
Car il parle, on l'entend : il sait danser, baller,

Faire des tours de toute sorte.
Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs :
Non,
Messieurs, pour un sou; si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte. »
Le
Singe avoit raison.
Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît; c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.
Oh! que de grands seigneurs, au
Léopard semblables,

N'ont que l'habit pour tous talents!



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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