Poèmes

L'Ancienne Mémoire

par Jean Claude Renard

Sous les feuilles fraîches ma fontaine remue comme des bras de filles. des danseuses descendues aux calmes, des menteuses ensevelies...

Ô tes cheveux chargés de chair épaississent les fruits purs, ma patiente, mon absente sur ta bouche trouble et nocturne.

Ma nageuse, je m'ennuie

au bord des fleuves blancs,

les prairies brûlent,

mes mains ne touchent plus les femmes.

les arbres rouges sont mouillés

autour des biches

comme des enfants nus

et je ne baise plus tes dents...

Ô ma rieuse, ma rameuse, ne me laisse pas revenir sur les terrasses anciennes où tu ramassais des grenades,

mûris-moi ces fleurs transparentes qui sanglotent dans les ramures avec tout l'automne éclaté el couche-moi parmi la mer...

«La
Brésilienne aux mains calmes ma mourante.

la fille des lents pays jaunes je l'ai perdue.

et la volupté taciturne

des trop aimées,

l'horreur des purs

ont remué mes nuits marines...

Mes ciels tournent

qui s'incendient de lunes

comme des femmes

dans la peur des terres violentes.

Toutes les eaux lumineuses qui retenaient mes mains menteuses ont ramé l'oubli sur son corps avec l'épaisseur des sanglots.

et seulement l'ancienne odeur de celles qu'on ne touche pas est descendue dans le
Sud pour la nostalgie des dormeuses...

Ces autres qui ont des mères

hideuses et malades,

ces belles autres

ne pourront plus me faire de mal ;

elles couperont leurs cheveux.

elles sentiront les puits

qui écœurent la soif

et leurs vêtements déteindront;

mais moi — ma fraîche —

les matelots blancs

qui tuent

me laissent les pleurer...»

Qui m'aimera?
Qui me tuera?
Qui me rendra ce qui est mort ?
Le corps le plus pur de mon corps a pris un autre corps que moi.
Je suis mon mal. je n'ai plus rien que la terre qui s'est fermée sur ma mémoire calcinée avec celui qui m'appartient.
Mon corps d'ici, mon corps d'ailleurs par la double nuit de leur sang sont l'un de l'autre tout absents, tout dissolus dans ma douleur.
Comme un monde interne et chargé des lunes de la haute mer sur ce qui reste de ma chair mon amour se meurt de secret.



Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017

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