La fourmi, qui frottait toujours,
S'arrêta pour reprendre haleine.
«
Qui s'attendrira sur la peine,
Dit-elle, des ménagères ?
Toujours frotter, jour après jour,
Et notre ennemie la poussière,
Aux ordures jeté notre triste butin
Revient le lendemain matin,
On se lève, elle est encor là, goguenarde.
La nuit on n'y a pas pris garde,
Croyez qu'elle en a profité,
La gueuse !
Il faut recommencer,
Prendre le chiffon, essuyer
Et pousser, toujours pousser
Le balai. »
«
J'ai tout mon temps, dit la poussière,
Cela s'use une ménagère.
Quelques rides d'abord et l'esprit
Qui s'aigrit;
La main durcit; le dos se courbe; tout s'affaisse,
La joue, le téton et la fesse;
Alors s'envolent les amours...
Boudant et maugréant toujours
La ménagère rancunière
Frotte jusqu'au dernier jour,
Vainc le dernier grain de poussière
Et claque enfin, le ressort arrêté.
Vient le docteur boueux, qui crotte le parquet,
Le curé et l'enfant de chœur et la cohorte
Des voisins chuchotants qui entourent la morte...
Et sur ce corps, vainqueur de tant de vains combats,
Immobile sur son grabat
Pour la première fois une journée entière,
Retombe une dernière couche de poussière :
La bonne. »
«
Quant à moi, dit la cigale, j'ai une bonne. »
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012