Poèmes

Genèses

par Jean Claude Renard

Ai-je dormi, mon
Bien-Aimé, tant de nuits en un seul sommeil que si loin je m'en suis allé, me suis mué. me fis vermeil, ai-je senti que sans s'abstraire mon corps coulait dans la
clarté

dont se compose ton mystère?
Il n'était plus mien — il brûlait.

Qui étais-tu sous l'eau profonde où plus que moi me transhumait, qui étais-tu, mon
Bien-Aimé, de
Celui-là que nul ne sonde, qui étais-tu pour que la terre cessant de me tenir épais, me laissât voir dans la lumière le pays des chanteurs secrets?

Autour de moi comme des îles, à la hauteur d'ombre et de brume où les corps repris par l'écume se retirent de leur argile, les lunes mûres, les prairies m'ont envahi,
m'ont inondé des tournesols que j'attendais depuis tant de si tristes pluies.

Sur mon amour intérieur, hors de ma cendre, hors de mon mal s'étend en moi, s'étend ailleurs un long royaume minéral d'êtres transparents, d'herbe pure, de vents
luisants comme le
Sud, d'animaux frais, de fruits touffus dont la fable me transfigure.

Fut-ce mémoire exorcisée,

mon amour, mon
Christ aux bras d'arbres,

qui me ramena comme
Orphée

dans les pays d'or et de marbre

que j'habitais en d'autres temps?

Des feuilles d'eau, des fleuves d'air

s'enflaient avec eux sous mon sang

et me rendaient vif à la mer.

Ouvert sur le plus haut silence j'ai reconnu le pays blanc qui est le premier de l'enfance,

le second est métal errant, pays glacé, pays de proie, le troisième d'algue cl de feu, le dernier obscur par ses dieux

— au-dessus d'eux la nuit flamboie.

De la pesanteur dévidée

je romps le fil, je romps le gel,

j'entre dans le pays réel,

je reçois la suave idée

toute chaude encor de ses grappes,

dissous en elle mon hasard,

me trempe en moi pour un départ

dont l'appel me hante et me happe.

Tout ici me dit d'écouter la grande
Genèse incessante qui sort de toi, mon
Bien-Aimé, d'explorer le roc et la plante, de fondre mon sang dans la flamme pour desceller le corps solaire, pour ranimer sous mes os l'âme et que l'Esprit sonde la
Terre.

Je pénétrerai chaque chair avec tant de soifs et de faims qu'elles prendront leurs noms anciens, n'auront plus l'odeur de l'enfer, l'odeur de la mort emmurée,

— je remonterai leurs courants, je traverserai l'Idumée

où repose le dieu d'Adam.

Et quand j'aurai touché sa bouche à m'en mourir, à m'en mourir je m'en irai de mon désir, j'incanterai l'antique souche pour qu'elle couvre de ses fruits les continents
originels, les beaux astres, les archipels que les rois marins m'ont prédits.

Ô mon
Chanteur enseveli dans le plus retiré de l'âme, n'enlève pas de moi cette arme qui m'a tué, qui m'a guéri!
Il m'a tant été révélé par celle qui n'a plus mes jours, tant de toi, tant de ton amour que je ne sais plus qui j'étais.

Voici vraiment que ta parole nous a conçus pour l'aventure, nous serons de ceux qui consolent, nous apprendrons la langue pure d'où naîtra la nouvelle enfance, — les
raisins, les coqs, les genêts dont nos corps amers sont extraits se recréeront dans l'innocence.

Suis-je en toi-même plus qu'en moi l'être central que je cherchais, n'est-ce pas lui, serait-ce toi en qui je me sens tout changé?
L'éclat des pays rituels qui foudroya les
Argonautes me défait en toi de ma faute, t'accomplit en moi dans tes
Ciels.

Ce dont je vis, ce dont je meurs et me perpétue en ailleurs n'est rien d'ici, mon
Bien-Aimé, hors l'amour qu'il me faut former pour que tout se charge d'oiseaux et que seul avec ta beauté je sois un sommeil aimanté de mille soleils musicaux...



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top