Poèmes

Miroir Ardent

par César Moro

Tandis qu'on s'assied sur le couvercle du crépuscule

Le pierrot vert

(Pâleur nègre du pierrot vert

Comme de ces villes sur qui le ciel


Isolé total aussi —

Se referme particulier

Avec ses religions ses dieux nouveaux)

Réverbères sous la lune

Poudroie sa face

Long hallali de minceur
Marbre rosée le corps
La peau de diamants

La nuit jusqu'au plus haut gradin

Frémit au pas de la proue

Roulis tangage filins

Chaînons agrafes les mots qui blessent

Mais monte la houle !

D'œil à œil le bois s'étend


Oh marches semez de toiles de prix

Vos demeures — insoupçonné

Ni cris ni bruissements

Ni frisselis ni chuintements ni gazouillis le dénoncent

Il faut la proximité pour que tout devienne pente

Vers le paroxysme des yeux bridés

À toute volée la cloche
L'Icare dément voile sa voix marine
Ses ailes en nageoire

Tant d'hirondelles seront mortes autour de toi vaisseau !

Dans l'abîme la clarté des roses de charbon

La chaleur de l'adorable enfer de poche

Les meurtres clairs du matin brumeux les soirs de

neige
Les divinités tutélaires dormant À poings fermés
Les fleuves de bonté charriant les îles

C'est toi que je voyais

Et toi et toi seulement

Splendeur précaire puisqu'elle change immobile

Et devient hostile ou morte ou sourde

Où sont tes liens éternité du regard

Où le poids de ta salive distillant le baume

Où le nombril du monde ?

Si je me souviens

Ce n'était pas la voix

Ni cette fureur ni ce mur lisse

Il y avait le paysage au fond du paysage

Par où les lacs de ta patrie rejoignent

Ces courants sensibles au visage du cœur

Mais à présent tout dort d'un mauvais songe

Les mots de fer

Les pierres n'ont plus le cœur chaud

La nuit s'affale sous des joyaux de chaînes

Le ciel est gris

Toute fenêtre close sur l'esprit

L'odeur insupportable

Le grésillement imbécile des automates

Qui peuplent aujourd'hui la vie

Des mots des bribes des lambeaux

Où la pensée ne brûle

Alors que plus jamais

Ne cessera-t-on d'entendre les noms maudits

Toujours les mêmes associations d'idées

Les mêmes mots-leviers

Continueront de jouer

A perte de vue sur la destinée humaine
Où tout de même nous avons quelque part

Mais si je ferme les yeux

Les fougères montent à l'assaut de la fumée très pure

du miroir À ce moment il n'a d'échappée que vers ta bouche À ce point d'or où se touchent le désir et le néant
J'entends la nostalgie
Mais par néant j'entends la faute
De vouloir confronter le désir Étancher la soif

Mais peut-on étancher la soif
Exister ?

À ce tournant pierrot

J'arrive à moi-même

Il n'y a plus de ciel ni dieu

Et ce que j'imaginais divers

Ce n'est que l'unité de l'œil de mort

Car j'ai toujours existé

Octobre-novembre 1952-mars 1953



Poème publié et mis à jour le: 13 November 2012

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