Poèmes

Matin D'octobre

par Jacques Réda

Lev
Davidovitch
Bronstein agite sa barbiche, agite
Ses mains, sa chevelure hirsute ; encore un peu, il va
Bondir de son gilet et perdre ses besicles d'érudit,
Lui qui parle aux marins de
Cronstadt taillés dans le bois

mal Équarri de
Finlande, et guère moins sensibles que
Les crosses des fusils qui font gicler la neige sale.
Il prêche,
Lev
Davidovitch, il s'époumone, alors
Que sur le plomb de la
Neva lentement les tourelles
Du croiseur
Aurora vers la façade obscure du
Palais d'Hiver se tournent.

Quel bagou ; quel ciel jaune ;
Quel poids d'histoire sur les ponts déserts où parfois

ronfle
Une voiture aux ailes hérissées de baïonnettes. À
Smolny, cette nuit, les barbes ont poussé ; les yeux,
Brûlés par le tabac et le filament des ampoules,
Chavirent,
Petrograd, devant ton crépuscule, ton silence
Où là-bas, au milieu des
Lettons appliqués et farouches,
Lev
Davidovitch prophétise, exhorte, menace, tremble
Aussi de sentir la masse immobile des siècles

Basculer sans retour, comme les canons sur leur axe,
Au bord de ce matin d'octobre.

(Et déjà
Vladimir
Ilitch en secret a rejoint la capitale ; il dormira
Plus tard, également grimé, dans un cercueil de verre,
Immobile toujours sous les bouquets et les fanfares.
Cependant
Lev
Davidovitch agite sa tignasse,
Rattrape son lorgnon,

— un peu de sang, un peu de ciel
Mexicain s'y mélangeront le dernier jour, si loin
De toi boueux octobre délirant au vent des drapeaux rouges.)



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top