Poèmes

Les Devineresses

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

C'est souvent du hasard que naît l'opinion,
Et c'est l'opinion qui fait toujours la vogue.

Je pourrois fonder ce prologue
Sur gens de tous états : tout est prévention.
Cabale, entêtement; point ou peu de justice.
C'est un torrent : qu'y faire?
Il faut qu'il ait son cours

Cela fut et sera toujours.
Une femme, à
Paris, faisoit la pyihonisse;
On l'alloit consulter sur chaque événement :
Perdoit-dn un chiffon, avoit-on un amant,
Un mari vivant trop, au gré de son épouse.
Une mère fâcheuse, une femme jalouse,

Chez la
Devincuse on couroit
Pour se faire annoncer ce que l'on désiroit.

Son lait consistait en adresse :
Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse.
Du hasard quelquefois, tout cela concouroit.
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats,

Elle passoit pour un oracle.
L'oracle étoit logé dedans-un galetas;

Là cette tèmme emplit sa bourse.

Et, sans avoir d'autre ressource,
Gagne de quoi donner un rang à son mari;
Elle achète un office, une maison aussi.

Voilà le galetas rempli
D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros
Messieurs, tout enfin,
Alloit, comme autrefois, demander son destin :
Le galetas devint l'antre de la
Sibylle.
L'autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire, «
Moi devine! on se moque : eh!
Messieurs, sais-je lire?
Je n'ai jamais appris que ma croix de par
Dieu; »
Point de raison : fallut deviner et prédire,

Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré soi plus que deux avocats.
Le meuble et l'équipage aidoient fort à la chose :
Quatre sièges boiteux, un manche de balai,
Tout sentoit son sabbat et sa métamorphose.

Quand cette femme auroit dit vrai

Dans une chambre tapissée.
On s'en seroit moqué : la vogue étoit passée
Au galetas; il avoit le crédit.

L'autre femme se morfondit.

L'enseigne fait la chalandise.
J'ai vu dans le
Palais une robe mal mise

Gagner gros : les gens l'avoicnt prise
Pour maître tel, qui traînoit après soi
Force écoutants.
Demandez-moi pourquoi.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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