Rien ne pèse tant qu'un secret :
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un
Mari s'écria,
La nuit, étant près d'elle : «
O
Dieux! qu'est-ce cela?
Je n'en puis plus! on me déchire!
Quoi? j'accouche d'un œuf! —
D'un œuf? —
Oui, le voilà .
Frais et nouveau pondu.
Garde/ bien de le dire :
On m'appelleroit poule; enfin n'en parlez pas. »
La
Femme, neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire.
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire;
Mais ce serment s'évanouit
Avec les ombres de la nuit.
L'Épouse, indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez sa voisine. «
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre :
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de
Dieu, gardez-vous bien
D'aller publier ce mystère. —
Vous moquez-vous? dit l'autre : ah! vous ne savez guère
Quelle je suis.
Allez, ne craignez rien. »
La
Femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle;
Elle va la répandre en plus de dix endroits;
Au lieu d'un œuf, elle en dit trois.
Ce n'est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait :
Précaution peu nécessaire,
Car ne n'étoit plus un secret.
Comme le nombre d'ceufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche alloit croissant,
Avant la fin de la journée
Ils se montoient à plus d'un cent.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012