Les Femmes et le Secret, Jules Laforgue
Poèmes

Les Femmes et le Secret

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Rien ne pèse tant qu'un secret :
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d'hommes qui sont femmes.

Pour éprouver la sienne un
Mari s'écria,

La nuit, étant près d'elle : «
O
Dieux! qu'est-ce cela?

Je n'en puis plus! on me déchire!
Quoi? j'accouche d'un œuf! —
D'un œuf? —
Oui, le voilà.
Frais et nouveau pondu.
Garde/ bien de le dire :
On m'appelleroit poule; enfin n'en parlez pas. »

La
Femme, neuve sur ce cas,

Ainsi que sur mainte autre affaire.
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire;

Mais ce serment s'évanouit

Avec les ombres de la nuit.

L'Épouse, indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé;

Et de courir chez sa voisine. «
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre :
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.

Au nom de
Dieu, gardez-vous bien

D'aller publier ce mystère. —
Vous moquez-vous? dit l'autre : ah! vous ne savez guère

Quelle je suis.
Allez, ne craignez rien. »
La
Femme du pondeur s'en retourne chez elle.
L'autre grille déjà de conter la nouvelle;
Elle va la répandre en plus de dix endroits;

Au lieu d'un œuf, elle en dit trois.
Ce n'est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l'oreille le fait :

Précaution peu nécessaire,

Car ne n'étoit plus un secret.
Comme le nombre d'ceufs, grâce à la renommée,

De bouche en bouche alloit croissant,

Avant la fin de la journée

Ils se montoient à plus d'un cent.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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