Poèmes

Les Dépravés : Écueil

par Léopold Partisan

(A messieurs Paul, Charles et Jean)

Un vieux poète qu’en alternance
Rongeaient de vénériennes affections
Et un fort penchant pour la boisson
S’ébroua entre fragrance et pestilence

La nuit était aussi blanche
Que son âme noircie
Par la poix de l’opium
Qu’il inhalait goulument
En rêvant sans cesse
À la rédaction de nouveau manifestes
À la gloire de jeunes manants dans le vent
Et autres Adam en Astrakhan

La coupe semblait bien pleine
Et la crise de foi prochaine
Tant dans son esprit se confondaient
Autant les Raymond Radiguet en singlet
Que des Andy Warhol en baby dol
Eclusant des daiquiris au formol
Cette furieuse bacchanale
S’achevait irrémédiablement
Dans les égouts des Danaïdes
Où se renversaient les célèbres martinis
Que Franklin Roosevelt
Avait si souvent concocté
À la santé de Poison Ivy

En regard de pareilles addictions
La postérité aurait pu le surnommer
Autant Paul Verlaine que Jean Cocteau
Quoi qu’à en croire Jean Genet
il fut plus confortable de partager
La couche de Jean Marais
que celle du flibustier Arthur Rimbaud

Hélas de par et pour sa descendance
Combien allaient se répandre
En inepties et se faire mousser
En sordides coucheries
Le laissant cliniquement
Haï honni vomi
Lui qui fut tant et tant
Chéri applaudi béni

Comment en être arrivé là
Et surtout aussi bas

Quel était donc ce turbulent silence
Annonçant une innommable sentence
Quel était donc cet insondable vide
Prémisse d’une agonie solitaire et impavide

Morphée ma vieille amie
Que n’es-tu Muse de l’insomnie
Morphine ma vieille anguille
Que ne me distilles-tu l’envie
De m’évaporer à jamais
Dans les fragrances de l’insouciance
D’une jouissance enfin bien méritée

Mardi gras et Nouvel an chinois
Ainsi bégaya Zarathoustra
Aux prémices du précipice
Qu’enfant j’envisageais
Pour pouvoir me libérer des bohémiennes
Et autres cartomanciennes
Surgies en harpies
De mes pires cauchemars
Pour me ravir à l’amour
De feu ma mère

Morphée vieille pythie lubrique
Comme j’aimerai aujourd’hui encore
Te faire goûter aux onze mille verges
De feu lui aussi Guillaume Apollinaire

Morphée vieille panthère saphique
Oserais-tu braver la loi salique
Et transfigurer ton féminin charnel
En une immonde statue de sel

Morphine ma tendre aiguille
Abrège mon ici-bas
Allège mon célibat
Et que brûlent en enfer
Cette alliance contre nature
De la beauté sacrifiée
Au culte de la fécondité

Morphine vieille concubine
Entrave-toi à moi
Morphine vieille gourgandine
J’en bave déjà…
Tandis que je me couronne
D’épines et me fond
Dans la fange
De tes entrechats
De caoutchouc

Écoute l’éloge funèbre
Que je me suis dédiée
pour le carnage de cette vie
Où j’ai tant flirté avec le trépas

« Lila, glaïeul et mimosa,
Les fleurs du mal
Se portent plutôt en Dalhia

Lila, glaïeul et mimosa,
Comprenez mon émoi
De vous retrouver posées si bas

Lila, glaïeul et mimosa,
Plongée en apnée
À la source du nectar

Lila, glaïeul et mimosa,
Remontée sans palier
De la source du cauchemar

Pétales de rose
Sur un ensemble
De roses de sang

Peau de pèche
Sur une tunique
De péchés de peau

Huile essentielle d’un poison éternel
Au parfum de mon adolescence
Aux remugles de ma déliquescence

Et si pour ce faire
Il nous fallait fractionner l’univers
Nous aiderions nous de coléoptères
Aux phéromones délétères

Et si pour se taire
Il nous fallait auditionner tout l’univers
Nous aiderions nous de sagittaires
Aux aromates d’éther

Lila, glaïeul et mimosa,
Trop fragiles pour prendre racines
Sur cet écueil
Vous aurez fier allure
Sur mon cercueil »

Éclipse

C’est un pré vert
Bordé à sa gauche
D’un bois de bouleau
Et à sa droite
De mélèzes argentés

C’est un pré vert
Que borde et déborde
Un sinueux ruisseau
Où s’abreuve bétail
Gibier et passereaux

C’est un pré vert
Où l’été mime et anime
L’indolence du temps
Qui passe et se prélasse
Tandis que nus tous les deux
Nous regardions les nuages
Jouer à saute moutons
Avec les avions à réaction

C’est un pré vert
Ou il fait si bon perdre
Cette virginité
Que voudraient conserver
Jusqu’au bucher
Les grenouilles de bénitier

C’était un pré vert
Depuis longtemps bétonner
Qu’on aurait pu mieux lotir
C’était un pré vert
Où guerroyer
Était un jeu d’enfant
Où batifoler
N’était plus ni inconvenant
ni indécent

C’était un pré vert
Qui a pris la clé des champs
Avec mes rêves d’enfants
Et mes émois d’adolescent

Éclats

Sous une lune
Aux reflets mouvants
Un rayon noir et blanc
Éclaire inversement
L’écume aux lèvres
D’un Pierrot pantelant
Anonyme compagnon d’infortune
D’une troupe dépenaillée
Plongé bien malgré elle
Dans le premier acte
D’une comédie humaine
Intitulée : « der des ders »

Sous cette lune
Aux reflets cassants
Le même rayon noir et blanc
Entame une poursuite haletante
Des gibiers de potence et autres chevillards
Déserteurs à toutes heures
Qui après chaque bataille
Dépouillent, dépècent, dépiautent
Autant les corps sans vie
Que ceux à l’agonie
De leurs amis
Comme de leurs ennemis

Cette nuit pourtant
À la faveur d’une éclaircie
C’est eux que l’artillerie
Équarrira, éradiquera
Comme tous ces rats
Vecteurs de cholera
Rien ne sera épargné
Ni les tranchées
Ni les barbelés
Encore moins les clochers
Déjà éventrés
C’est aussi cela l’honneur
De mourir au champ d’horreur

Sous la lune
Aux reflets d’argent
Le rayon noir et blanc
S’en revient maintenant
Sur le pauvre Pierrot agonisant

Sur cette terre noire et hostile
Pantin privé de ses fils
Il fait tache blanche
Misérable guano sans écho
Ayant atteint son niveau zéro

La lune est visionnaire
Mais tributaire
D’une chandelle morte
Soupire-t-il
Pâle et sans accent circonflexe

La lune est visionnaire
Mais peu guerrière
Parvient-il encore à déglutir
Ma chandelle est morte
Et je n’avais
Ni civière
Ni gibecière
Pour battre
À plat de couture
Ce disgracieux briquet
Aux ourlets
En point d’exclamation

Pourquoi fallut-il
Que le détachement
Du Lieutenant Fournier
S’en soit pris à des blessés
C’était là grand péché
Quasi un crime contre l’humanité
L’œuvre d’un dépravé
Pour ma part oubliée
Pardonnée

Manque de visibilité

Furent les derniers mots
Prononcé par Pierrot
Sous cette lune
Au sourire cruel
Qu’elle afficherait dorénavant
À chaque croisement
Avec le rayon noir et blanc
Nous rappelant
Que l’on peut mourir dignement
Après avec vécu indignement
Et inversement.

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