Bertrand avec
Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avoient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'étoit un très-bon plat :
Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pût
[être.
Trouvoit-on quelque chose au logis de gâté.
L'on ne s'en prenoit point aux gens du voisinage :
Bertrand déroboit tout;
Raton, de son côté, Étoit moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardoient rôtir des marrons.
Les escroquer étoit une très-bonne affaire;
Nos galands y voyoient double profit à faire :
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à
Raton : «
Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître;
Tire-moi ces marrons.
Si
Dieu m'avoit fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes, marrons verroient beau jeu. »
Aussitôt fait que dit :
Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate, Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;
Puis les reporte à plusieurs fois;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque :
Et cependant
Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens.
Raton
Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.
Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012