Poèmes

Le Lièvre et les Grenouilles

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Un
Lièvre en son gîte songeoit (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?);
Dans un profond ennui ce
Lièvre se plongeoit :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

«
Les gens de naturel peureux

Sont, disoit-il, bien malheureux.
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite;
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

Et la peur se corrige-t-elle?

Je crois même qu'en bonne foi

Les hommes ont peur comme moi. »

Ainsi raisonnoit notre
Lièvre,

Et cependant faisoit le guet.

Il étoit douteux, inquiet :
Un souille; une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre

Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière.
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal

Pour s'enfuir devers sa tanière.
Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

«
Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire!
Ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!

Et d'où me vient cette vaillance?
Comment? des animaux qui tremblent devant moi!

Je suis donc un foudre de guerre!
Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. »



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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