Dieu sait
Qu'à l'instar de Fernando Pessoa
Fernand Personne aux multiples personnes
J'aimerais posséder
En plus de la mienne
D'autres personnalités poétiques
Chacune dotée de son propre nom
Au gré de mon humeur
Je donnerais ma plume à untel
Ou plutôt
C'est tel hétéronyme qui la prendrait
Sans me consulter
Mes hétéronymes
Échangeraient une correspondance
Parfois conflictuelle
Dont je tirerais le plus grand profit
Pour les poèmes que j'écrirais
Sous mon vrai nom
Chacun de mes hétéronymes
Posséderait sa propre idiosyncrasie
Dont je me vêtirais
Quand cela me chanterait
Ou quand j'en recevrais l'ordre
Mes amis et connaissances
Seraient certainement décontenancés
Par mes changements de personnalité
D'un jour
Voire d'une heure
À l'autre
Mais ne pardonne-t-on pas tout
Aux génies
Car nous serions des génies
Chacun maître d'une facette du diamant
De la poésie
Nul ne le contesterait
Et les lauriers qu'on nous tresserait
À juste titre
Rejailliraient sur la nation tout entière
Nos tapuscrits
Contrairement à ceux de l'illustre Lisboète
Ne dormiraient pas dans une malle
Pendant des décennies
Mais seraient rapidement
Édités
Par les plus grands éditeurs
Comme cette vision est lisse et naïve
Au vrai
Mon rêve est par trop idyllique
Les génies ne volent jamais de succès
En succès
Quand c'est le cas
Le temps qui fuit
Nous révèle un jour
Qu'ils n'en étaient pas
En les jetant aux oubliettes
Eussent-ils été les brillants hétéronymes
D'un poète couvert d'honneurs
De son vivant