Poèmes

Du Thésauriseur et du Singe

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Un homme accumuloit.
On sait que cette erreur

Va souvent jusqu'à la fureur.
Celui-ci ne songeoit que ducats et pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu'ils sont frivoles.

Pour sûreté de son trésor,
Notre
Avare habitoit un lieu dont
Amphitrite
Défendoit aux voleurs de toutes parts l'abord.
Là, d'une volupté selon moi fort petite,
Et selon lui fort grande, il entassoit toujours :

Il passoit les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche.
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche :
Car il trouvoit toujours du mécompte à son fait.
Un gros
Singe, plus sage, à mon sens, que son maître,
Jetoit quelque doublon toujours par la fenêtre.
Et rendoit le compte imparfait :
La chambre, bien cadenassée,
Permettoit de laisser l'argent sur le comptoir.
Un beau jour dom
Bertrand se mit dans la pensée
D'en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce
Singe à ceux de cet
Avare,
Je ne sais bonnement auxquels donner le prix :
Dom
Bertrand gagnerait près de certains esprits;
Les raisons en seroient trop longues à déduire.
Un jour donc l'Animal, qui ne songeoit qu'à nuire,
Détachoit du monceau, tantôt quelque doublon,
Un jacobus, un ducaton.
Et puis quelque noble à la rose;
Eprouvoit son adresse et sa force à jeter

Ces morceaux de métal, qui se font souhaiter

Par les humains sur toute chose.
S'il n'avoit entendu son compteur à la fin

Mettre la clef dans la serrure,
Les ducats auroient tous pris le même chemin.

Et couru la même aventure;
Il les auroit fait tous voler jusqu'au dernier
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint financier

Qui n'en fait pas meilleur usage!



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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