Poèmes

Ronde des Cloches du Nord

par Francis Vielé-Griffin

Avril est mort d'amour et nos âmes sont vieilles


Les roses mortes, foulées —

Au cours du fleuve clair, bandes bariolées,
Les rives se déroulent : le rêve des veilles
A vu passer la vie éparse aux plaines folles,
Aux villages dormeurs, aux cités de coupoles,
Aux coteaux, aux forêts, aux gris regards des saules.

Quelles heures, d'entre les mortes, furent nôtres ?
Saurait-on, au gouffre où s'écroulèrent,
Un à un, les pans de nos châteaux de liesse,
Discerner en l'amas les rubis de la voûte
Et tous nos luxes, pièce à pièce ?

Roses que nos danses foulèrent,


Pétales en les feuilles mortes de la route,
Deux fois fanés au site abandonné —
Roses qui prétextiez de si doux gestes ?

Et nul, pas même moi, n'a souri de vos restes...

Sur le
Pont du
Nord un bal y est donné.
Sur le
Pont du
Nord un bal y est donné.

O musique du rire et des pas et des robes,

Et ton fin cliquetis, éventail qui dérobes

Le sourire des lèvres chuchotantes,

Cependant qu'un violon se pâme en des andantes ;

Le remous de valse en prélude ;
Puis, tourbillon de joie indigne et vaine et rude,
Ou prudente et lascive, encor, comme une prude —
O ton corps rayonnant, que tout regard dénude,
Et que ne dompte nulle lassitude.

Ton âme est folle, et si jeune, et si blonde.
Ton rire est de joie et ton pas est une aile,
Ta parole est plus douce qu'un rire d'onde,
Ta grâce a la gloire des vierges en elle.

Pour qui se cambrera ta souplesse,

Pour qui s'empourprera ton front de son ivresse,

Pour qui se dénouera l'entrelacs de ta tresse

Pour que s'alourdisse un rêve de penser ?

Pour qui, pour quel esclave est ton collier d'amour ?

Qui te dira le poids des heures, à ton tour ?

Ta grâce est cadencée en chaque contour.

Non, non, ma fille, tu n'iras pas danser.
Non, non, ma fille, tu n'iras pas danser.

Ton rêve serait d'un autre que tous ceux-là ;
Ton rêve serait de nobles cœurs et d'âmes ;
Ta puberté que nul songe ne viola
Rougirait d'ouïr leurs épithalames.

Le sang de tout ton corps est en mal d'amoureuse
Ton cœur est d'être à
Lui — ton âme en est peureuse
Mais il n'est pas venu, ni ne viendra,
Dieu sait !
Des rives du passé.

Ton rêve en vain l'appelle aux horizons d'automne ;
Nul écho bienvenu dont ta pudeur s'étonne ;

Et toujours l'horizon ; et toujours, monotone,
O le monde — le monde, on ne peut s'en leurrer.

Monte à sa chambre et se met à pleurer.
Monte à sa chambre et se met à pleurer.

Qui sait si quelque cœur

Ne meurt ton agonie ?

Il est de mâles vœux :

Ton âme peut s'ouvrir à qui somme en vainqueur ;

Ton front peut se courber au front du génie ;

Il est de mâles nuits lentes de fous aveux.

Et l'ombre sair peut-être son nom :

Regarde par la route et vois si nul n'y marche ;

Regarde scintiller le
Pont

Qui courbe, là-bas, son arche ;

Ecoute : — la valse encore et les rires —

A l'écouter, tes pleurs sont pires.

Tu sais, pourtant, que nul ne t'attend là.

Et que ta voix en vain l'appela ;


Tu le sais bien — et ne peux t'en leurrer.

Ma sœur, ma sœur, qu 'avez-vous à pleurer ?
Ma sœur, ma sœur, qu 'avez-vous à pleurer ?

O la nuit, la lourde nuit ;

Plus un astre —

Le firmament s'endeuille, aussi, de son désastre,

O cœur, et sur ta mort nulle étoile ne luit,

Tu ne veux que sourire à la mort dans ton âme ;

Cette ombre où tu te plais n'a souci d'une flamme

Nuptiale, et tout épithalame

Eveillerait l'écho qui dort au loin du pré.

Tu ne veux que sourire un regret,
Un si doux regret et c'en est une joie,
Un regret simple et noble comme un menuet.
Un regret d'aube jeune et de ciel où rougeoie
Une aurore — candeur et pudeur de ta vie ! —
Rêve irréalisé, mais qui demeure
Quelque chose d'au delà cette folle heure
Et dont l'espoir survit et si doucement pleure
Que le regret en est plus doux que la survie.

Ton âme est fiancée au
Même, encore, encore ;
Ton cœur n'a pas voulu de moins beaux cavaliers,
Tu n'as livré ta taille en la danse sonore
Qu'au
Seul pour qui tu veux que brillent tes colliers ;
Ton rire et ton regard distrait au loin des groupes
Ne cherchaient qu'un retour de son âme ignorée...
Le ciel s'épure au chant des rondes et des coupes.

Mets ta robe blanche et ta ceinture dorée !
Mets ta robe blanche et ta ceinture dorée !

Musiques en la fête et musiques aux lèvres
De baisers tard promis et qu'on dérobe ;
Te voici plus blanche que ta blanche robe
Parmi les musiques et les fièvres.
Reine du bal en ceinture dorée,
Reine du bal au précieux collier.
Reine du bal, où est ton cavalier.
Qui déliera ta ceinture dorée ?

«
Il viendra par le fleuve, en l'aurore nouvelle «
Dont blanchit l'aube ;

«
Il vient à moi, debout dans sa nacelle, «
Et j'ai vêtu ma ceinture et ma robe ;

«
Le voyez-vous, dressé dans l'éclat de ses armes, «
Lui dont le pur regard a défié tous charmes, «
Et dont l'âme n'eut pas d'alarmes ?

Je t'attendis longtemps, doux prince,

«
Mes yeux en sont las, ma vue en est noyée ;

«
O mène-moi vers ta province,

«
Emmène-moi, la dévoyée,

«
O mon doux prince ! »

Elle fit trois pas et la voilà noyée.
Elle fit trois pas et la voilà noyée.

Avril est mort d'amour, et nos âmes sont vieilles


Chants de cloche fêlée —

La ruine où mon cœur saigna ses lentes veilles

Aux fossés, pierre à pierre, est roulée ;

Et dans la nuit, comme pour pardonner.

Les cloches du
Nord se sont mises à sonner.

Il neige sur nos cœurs des vieillesses de mondes,
Il neigeait sur nos cœurs les fleurs de l'avril blondes.
Tout vin que nous goûtions se sucrait d'autres lèvres,
Nous ne buvons que le vin de nos fièvres.

Notre âme aux océans appareillait
Vers des bords gais de rêve clair,
Mais le naufrage aux
Syrtes veillait :
Le vent avide va moissonner
La plaine glauque de la mer,

Le vent hurle, le vent est de
Batz et d'Ouessant ;

Le monde est vide, et tu peux mourir —

Le sable oublie un pas de passant

Qu'il veuille marcher ou courir ;

Et tel se hâte et tel s'attarde à s'étonner

Au long de la route ;

O toi, qui vas, écoute, écoute :

Les cloches du
Nord se sont mises à sonner,
Les cloches du
Nord se sont mises à sonner.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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