Poèmes

Vers la Mer

par Francis Vielé-Griffin

Mon
Cœur sourd de la
Mer et se résorbe en elle...

Rien dans le vent du large où rêver la terrasse :

Pas un pétale, un papillon — pas même une aile ; —

Ni senteur de verger parmi l'embrun qui chasse,

Ni même un bruissement de feuillage irréel

Dans le glas monotone et tenace

Qui hurle — es-tu donc triste ? — au ressac de
Frehel.

Près de la grande croix éperdue et tragique

Dont j'ai vêtu le nu gibet de notre amour.

J'ai pleuré vers la mer sanglotante en réplique.

Comme ta voix, peut-être, et comme ton cœur lourd ;

Par delà l'océan qui geint son rêve sourd,

J'ai guetté ta réplique.

L'herbe est plus gaie au creux de nos ravins, sans doute ;

Notre lac est plus bleu — car c'est le jeune été ;

L'île à l'ancre dort telle encore qu'elle était,

Et le sentier du roc court rieur sous sa voûte.

Et son seuil est fleuri que tes pas ont fêté

Et son écho s'émeut que ta voix a fêté !...


Mon âme dans la mer des larmes s'est dissoute,
Mon cœur, dans la mer je l'ai jeté !

Le jardin bruissait dès le seuil
Des oiseaux s'envolant du porche ;

L'ombre d'un hêtre, dès le seuil.
Traînait en violet de deuil ;
Autour d'un rosier, rose torche,
Vibraient en halo des abeilles ;
C'étaient le
Pays des merveilles
Que nous contemplions du porche


Un rêve de futures veilles. —

Au long des buissons fleuris d'ambre,

Près des rocs gris comme
Décembre,

Sous le poids de tes cheveux tu te cambres,

De tes cheveux en nuée et si lourds

De leur or d'encensoir où brûleraient des ambres...

Qu'eut-il été de nos amours ?


Si vers mes désirs tu te cambres

Par delà l'océan qui geint ses rêves sourds
Rien ne sera de nos amours !...

Si j'avais pensé de te dire

«
Que des bleuets sont dans tes yeux,

«
Et des roses dans ton sourire


Et des épis dans tes cheveux ».

Et pourtant j'ai pensé te dire :

«
Que la vie est douce à qui le veut,

«
Qu'en ton regard un regard se mire,

«
Qu'en toute voix un écho s'émeut ; »

Mais pouvais-je savoir — la folie ! —

Pour quelle douleur je t'aimais

Et que la vie est triste et s'oublie,

Et que le temps meurt à jamais...

Nous dérivions, des heures, aux rives,

Où les branches nous tendaient leurs ombres,

Et parfois se joignaient en ogives

Comme en des cathédrales sombres ;

Et quelque courant nous menait,

A sa guise lente, où dort la crique ;

Et ce nénuphar à mon péril donné,

Et le rire en sourire qui fut ta réplique...

Quelle heure d'éternité sonnait ?

Car voici que j'écoute toujours

Par delà l'océan qui geint des rêves sourds

Et guettant ta réplique.

Mon âme dans la mer se noie

Mon cœur saigne aux vagues moroses...

Où vas-tu cueillir le jasmin ?

Où fais-tu récolte de roses ?

Sais-tu où refleurit la joie ?


Mon cœur ne sait plus le chemin,

Mon âme dans la mer se noie —

J'ai pleuré vers la mer qui surgit et déferle,

Et, fou, je te tendais la main,

Rêve qui te dissous en vapeurs au lointain,

Comme croule mourant un flot qui déferle ;

Rêve d'aube que vint dissiper le matin,

Comme, essoré, s'efface un chant de merle ;

Rêve d'amour défunt, hantant tout lendemain,

Comme, doucement retirée, une main

Laisse l'empreinte d'une perle

Indélébile aux doigts qui la serraient en vain.

J'ai pleuré vers la mer qui sanglote et déferle.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

Lettre d'Informations

Abonnez-vous à notre lettre d'information mensuelle pour être tenu au courant de l'actualité de Poemes.co chaque début de mois.

Nous Suivre sur

Retour au Top