Poèmes

Par Nuits Basses, Voix Prodigues

par Pierre Dhainaut

Autrefois on avait un nom, on parlait à soi-même

et l'on se rassurait dans la tempête.
Mais vois,

tu ne définis rien, ce ne sont que des phrases

qui se dispersent.
Que tu tiennes, sous les poings,

les paupières baissées aussi longtemps que tu le peux,

à peine as-tu fixé un souvenir,

cela n'a aucune importance, en cette nuit

toutes les nuits se pressent : tu n'y es jamais seul,

ton corps n'est jamais assez nu pour elles,

se tiendrait-il en ce que tu crois un dernier regard.

On imagine établir des repères, tracer sa propre route

et progresser parmi les ruines : la nuit ne se pénètre pas,

ne se parcourt pas davantage.
Ce mur sera le bienvenu,

ce n'est qu'ainsi que tu progresses, quand tu ne lui réclames

ni appui ni répit.
Cicatrice ou bien fente,

aucune étendue pour les doigts au rythme des figures

brisées, reprises, ne restera inerte.
Déchiffre-le,

cet alphabet de pierre, prépare-toi à ne plus séparer

la surface, le secret.
Tu as la nuit entière,

tu as le battement d'un cœur commun à élargir.

Le moindre pas t'en persuade, la nuit demeure après,

bien après le reflux comme une senteur de varech

au ras des flaques innombrables, ne demande

qu'à s'étendre.
Mieux vaut avancer pour la faire sourdre

ici. «Ici » évidemment n'a pas plus de sens

que là-bas, ni «avancer».
Tu espères pourtant,

tu te dis que dans un moment s'incarnera le flot qui te redresse autant qu'il te renverse, qui ne supporte aucun obstacle.
Trop d'assurance encore, trop d'orgueil en toi pour être d'accord.

Tu associais la nuit et le silence.
Maintenant

tu écoutes.
Tantôt ce bruit massif des lames

contre des digues, poursuivant leur travail de sape,

de plus en plus bref l'intervalle entre les coups,

tantôt ces cris de bêtes que l'on chasse, se précipitant

au fond d'une plaine, puis revenant, de plus en plus

opaques.
Tu ne perçois, en fait, que des échos,

ils ne suffisent pas pour t'interdire

de rester au-dehors : tu devras lâcher prise

dans peu de temps, la rumeur le répète en bas, très bas.

Gravats, éboulis, labyrinthe... trop pur, un tel vocabulaire,

lui ajouterais-tu vermine ou larves.
Rien n'apparaît

de ce que tu ressens depuis l'enfance en soulevant des planches

pourries, grouillantes, dans les friches humides.

Même les roches s'y délitent.
Tu as choisi la page,

croyais-tu au miracle ?
Elle est identique à ce linge

dont on prend soin d'effacer plis et ombres

pour recouvrir le visage d'un mort.
Aucun signe

ne résiste, l'encre ne sèche plus, la nuit prolifère.

Le contour qui manque, la paume enfin le donnera.

La lande est froide en août, la nuit, l'herbe acérée,

tu te surprends à désirer qu'elle blesse

jusqu'au sang.
Ce que tu attendais du jour,

le jour le refusa.
Tu n'as scruté que les arbres des crêtes.

À terre, quand tu te couches, tu n'auras pas assez,

des talons à la tête, de tout ton poids pour t'agripper :

tu prétends t'éblouir, déjà tu guettes le passage

des météores.
Contemple, imprègne-toi en contemplant,

réconcilie la patience, le tumulte, l'essor

et l'enracinement parmi les cailloux, parmi les étoiles.

Tu es clos de partout, comme ton lit,

ta chambre.
Une nuit par l'insomnie se rappelle à toi.

Que peux-tu lui offrir, qui la soulage ?
Le mot « confiance »

au plus fort de l'hiver venait spontanément aux lèvres

avec celui de « neige » : dans la mémoire ils continuent

de nous précéder jusqu'à l'aube.
De syllabe en syllabe,

tu serais cet enfant grâce au murmure,

tu sentirais se dénouer tes membres, s'écarter

les parois, s'unir l'horizon et le rêve,

se rafraîchir, s'accroître, se répandre les souffles.



Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012

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