Les mots ont été créés pour qu'en fermant les yeux je puisse venir à toi sans faire un mouvement.
Ta gorge s'éveille quand je l'appelle d'une voix qui en connaît avant moi la forme.
Quand tu n'es pas à portée de mon regard, quelques mots toujours pareils te remplacent.
Mais je puis aller jusqu'au bout de toi sans en prononcer un seul.
Dans mon sommeil je te prépare
pour t'avoir plus nue chaque jour.
Je ne suis pas l'esclave de ce que je te dis
parce que chaque parole te délie de mon désir.
Mais ta bouche ordonne les mots dont j'ai besoin
pour être chaque matin dans la rue
l'homme qui va à son travail
avec une tête différente de celle des autres passants.
Le vent veut faire éclater la ville en jetant ses vagues et les forêts qu'il décime contre les maisons qu'il prend pour des rochers, contre les fenêtres où pas un
rideau ne bouge.
Un volet s'ouvre et se rabat sans cesse
comme un oiseau qui tente de voler.
Tu serres ta jupe contre tes cuisses
de peur de n'être plus qu'un blanc noyau de chair.
Les hommes encouragent le vent presque de la voix pour que ton corps soit nu bien au-delà de son linge.
Il a toute sa bouche sur toi et elle accède à ta peau en un baiser qui te porte comme un fleuve.
Tu as la force de m'appeler pour te défendre
mais les mots que tu dis ont le poids
de ceux que du fond de nos étreintes tu laisses monter
comme des bulles de feu qui auraient traversé la mer.
Avant de disparaître derrière la forêt le soleil se presse contre ta joue et nous sentons à peine le lien qu'il serre autour de nos baisers.
La chambre se jette toute nue dans le bûcher des vitres et un dernier arbre de clarté se couche en travers de ton corps.
L'ombre qui sort des murs arrive au sommet des collines d'où elle retombe sur la moisson qui déborde encore des vallées.
Il ne reste que l'éclat des rivières et celui, plus sourd, que retiennent tes cils : c'est de là que chaque jour le matin part pour aller voir le soleil naître dans les
blés.
Chaque jour à la même heure tu t'abreuves longuement aux vitrines.
Tu peux garder tout le soleil sur tes seins et il peut toucher tes dents comme un fruit.
Tu es pour mes sens le seul objet
sur lequel ils s'exercent complètement.
C'est contre toi que ma caresse devient tranchante
et que mon corps recouvre ses vraies dimensions.
Tu peux ensoleiller toute une chambre avec la seule clarté qui bat sur ton ventre au moment où plus rien ne te relie à la terre qu'un baiser, qu'une étreinte, qu'un
regard.
Pour te dépouiller de ta nudité,
pour que le plaisir te traverse dans toute ta longueur,
il faut mettre à jour les diamants que tu as sous la peau et les tailler jusqu'à ce que le matin en jaillisse.
Sur ton corps lisse de caillou mes mains vont, forêts en liberté, comme vers des sommets d'où je retombe, source altérée de soleil.
Ton cœur est si proche de mon cœur
que nos artères se mêlent les unes aux autres
et ne retrouvent plus à nos fronts qu'une seule tempe
pour faire battre l'espace.
Bateau venu de la haute mer, je vais très loin au fond de tes plages et je me renverse dans les fougères qui naissent de ton corps entr'ouvert.
Lorsque nous n'avons plus pour respirer que l'air écrasé dans nos baisers, le jour qui nous sépare a beau faire, il n'arrive pas à être aussi nu que toi.
.Le soleil avant de se coucher dans les carreaux atteint sur la table la lame d'un couteau.
Les autres objets sont là, autour de lui, à attendre la lueur qui va les faire respirer.
Le soleil se retire des champs après avoir brisé ses lampes dans les ruisseaux.
Pour les garder longtemps au-dessus du monde les immeubles se font hauts comme des falaises.
C'est l'heure où l'on marche sur la terre
comme sur une passerelle,
où sans te reconnaître tu te regardes dans les vitrines
que rien ne peut tout à fait éteindre.
C'est l'heure où les pierres s'endorment au fond des vallées
tranquilles comme des bateaux amarrés,
où je peux fermer les yeux jusqu'au matin
sans qu'en moi l'ombre monte autour de ton souvenir.
J e m'éclaire longuement avec l'or que je trouve au fond d'une étreinte.
Enhardis par tant de lumière, nous dénoyautons le soleil dans un baiser.
La ville voudrait que le ciel parte de ses murs,
la ville voudrait aller au-devant des chemins,
qui s'arrêtent dans les champs de céréales
mais elle reste enfoncée dans le sol comme un tiroir.
A force de rejeter les objets dans leur passé,
je n'ai plus, comme point d'appui, que ta bouche
et nos visages sont si près l'un de l'autre
que tes yeux se ferment presque avec mes paupières.
Une lampe suffira pour marquer la place où le jour s'est ouvert le front.
De loin dans la nuit on verra s'élever son grand buisson d'orties blanches.
Dans les trains que les gares tirent à bout portant sur la nuit, dans la chambre où nous nous brûlons au plomb fondu de l'amour,
dans la rue où tu passais tout à l'heure
en faisant descendre le ciel jusqu'à toi,
dans les mains qui ne peuvent déchirer
les dernières affiches du plus beau des couchants,
dans l'espace qu'on voudrait tirer à soi pour le contraindre à s'ancrer quelque part, dans les paroles lancées comme des amarres qu'autour de nous rien ne peut retenir,
il y a toujours le même miroir où la vie regarde sans savoir pourquoi les pas qu'elle entend décroître sont ceux d'un être qui n'existe plus que par les gestes que lui
permet ton amour.
Du soleil il ne demeure que quelques étoiles
qui tournent lentement avec le ciel
et le jour pour lequel l'univers n'était pas assez grand
se laisse capturer dans les lampes.
De toi je ne discerne plus qu'une épaule comme un couchant au bord du drap, qu'une tempe où, telle une source, le sang fait remuer ses herbes les plus hautes.
Mais tes yeux fermés sont les bourgeons d'où va surgir demain toute la forêt et la voix que tu gardes, posée sur tes lèvres, donnera, en me nommant, un nom au
silence.
La nuit continue à marcher de son pas de géant sur chaque semence de la terre, sur ta gorge vissée à fond dans mes mains, sur le rêve où nous allons nous
rencontrer.
L'été devient le plus grand poisson que peuvent contenir les ruisseaux.
L'été devient le plus haut cristal que nous pouvons porter à deux.
De ma tête au point culminant de l'air, il n'y a que la distance d'un mètre de lumière avec lequel je cherche à mesurer l'être qui va et vient de mon visage à ton
visage.
Les chemins s'avancent vers moi comme les branches d'un arbre qui aurait pour racine l'endroit où tu poses les pieds.
Dans la forêt, nous marchons sur la clarté comme sur des serpents domestiqués
mais le soir ils s'enfuient sous le pont que le couchant jette sur son propre fleuve.
Mes mains cherchent sur toi la place
où ma caresse fait son bruit de soie
et nos corps se tiennent debout avec, contre eux,
le poids des murs de toute une ville.
D'un seul regard, d'un seul baiser,
je suis plus près de ton corps que tu ne le seras jamais
et ta bouche vient se poser sur la mienne
un peu comme l'écume au-dessus d'un ruisseau noir.
Il suffit que je te prenne dans mes bras
pour qu'entre nous surgisse un essaim
dont nous pressons la grappe chaude
à l'endroit où nous sommes hauts d'un seul sommet.
Personne ne pense au village
qui n'est plus qu'un œuf écrasé.
Le soleil est entier sur chaque tuile
et jamais le calcaire n'a souffert d'une telle soif.
Il y a des souterrains de verdure et de fraîcheur dans l'été où les routes sèchent jusqu'à la pierre, mais on ne les découvre qu'à la tombée du jour
à l'heure où les ruisseaux recommencent à couler,
à l'heure où la nuit n'a plus pour s'éclairer que la lampe sourde des moissons à l'heure où tu es prise dans le couchant comme un bel objet dans une vitrine.
A tourner entre ces murs gris que sont tous les visages, le ciel ne prend sa vraie couleur qu'au-dessus de ton front.
L'espace se veut plante sans fruits pour ta bouche qui tient le jour, pour ton regard qui cherche en moi quelque chose de plus clair que la lumière.
Les carreaux font les maisons plus larges avec, à fleur de verre, des têtes que rien ne peut rattacher aux corps dont elles ne cessent de dire le nom.
Mais il reste le miracle de ta présence au milieu des paroles que nous prononçons pour que l'amour ait la hauteur des montagnes qui s'ouvrent, chaque matin, sur le soleil nu.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012