Poèmes

Le Villageois et le Serpent

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Ésope conte qu'un
Manant,

Charitable autant que peu sage,

Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,
Aperçut un
Serpent sur la neige étendu.
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer

D'une action de ce mérite.

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.
L'animal engourdi sent à peine le chaud.
Que l'âme lui revient avecque la colère;
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père. «
Ingrat, dit le
Manant, voilà donc mon salaire!
Tu mourras! »
A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;

Il fait trois serpents de deux coups.

Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte sautillant cherche à se réunir,

Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :
Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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