Poèmes

L'Attaque de la Montagne

par Henri Michaux

Henri Michaux

C'est peu de chose, que de tordre un cou, d'en tordre dix, d'arracher du plancher une vieille fille geignarde avec le siège qu'elle y occupe, le faisant si précipitamment qu'elle
s'écrase le crâne contre un meuble cependant que le fauteuil y perd un pied.
Pour cela, la moindre colère, pourvu qu'elle soit vraie, suffit, mais attraper une montagne devant soi dans les
Alpes, oser l'attraper avec force pour la secouer, ne fût-ce qu'un instant, la grandiose ennuyeuse qu'on avait depuis un mois devant soi.
Voilà qui mesure ou plutôt démesure l'homme.

Mais pour cela il faut une colère-colère.
Une qui ne laisse pas une cellule inoccupée (une distraction même infime étant catégoriquement impossible), une colère qui ne peut plus, qui ne pourrait plus reculer
(et elles reculent presque toutes quoi qu'on dise quand le morceau est démesurément gros).

Ce me sera donc tout de même arrivé une fois.
Oh je n'avais pas à ce moment-là de griefs contre cette montagne, sauf sa sempiternelle présence qui m'obsédait depuis deux mois.
Mais je profitai de l'immense puissance que mettait à ma disposition une colère venue d'une lance portée contre ma fierté.
Ma colère en son plein épanouissement, en son climax, rencontra cette grosse gêneuse de montagne, qui irritant ma fureur, l'immensi-fiant, me jeta, transporté, impavide, sur
la montagne comme sur une masse qui eût pu réellement en trembler.

Trembla-t-elle?
En tout cas, je la saisis.

Attaque presque impensable, à froid.

C'est mon summum d'offensive jusqu'à présent.



Poème publié et mis à jour le: 12 July 2017

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