Poèmes

La Vieille et les Deux Servantes

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Il étoit une
Vieille ayant deux chambrières :
Elles filoient si bien que les sœurs filandières
Ne faisoient que brouiller au prix de celles-ci.
La
Vieille n'avoit point de plus pressant souci
Que de distribuer aux
Servantes leur tâche.
Dès que
Témys chassoit
Phébus aux crins dorés,
Tourets entroient en jeu, fuseaux étoient tirés;

Deçà, delà, vous en aurez :

Point de cesse, point de relâche.
Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontoit.
Un misérable
Coq à point nommé chantoit;
Aussitôt notre
Vieille, encor plus misérable,
S'affubloit d'un jupon crasseux et détestable,
Allumoit une lampe, et couroit droit au lit
Où, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit,

Dormoient les deux pauvres
Servantes.
L'une entr'ouvroit un œil, l'autre étendoit un bras;

Et toutes deux, très-malcontentes.
Disoient entre leurs dents : «
Maudit
Coq, tu mourras. »
Comme elles l'avoient dit, la bête fut grippée :
Le réveille-matin eut la gorge coupée.
Ce meurtre n'amenda nullement leur marché :
Notre couple, au contraire, à peine étoit couché,
Que la
Vieille, craignant de laisser passer l'heure,
Couroit comme un lutin par toute sa demeure.

C'est ainsi que le plus souvent.
Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire,

On s'enfonce encor plus avant :

Témoin ce couple et son salaire.
La
Vieille, au lieu du
Coq, les fit tomber par là
De
Charybde en
Scylla.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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