Disloquer le héros de Malraux ne devrait pas nous faire tout oublier. Nons manquerions de sérieux si l'autodafé qui réquisitionne le théâtre pour la salutaire
combustion de l'Individu-qui-se-prenait-pour-un-Homme, nous cachait que cette opération d'achèvement de la littérature d'hallucination humaniste peut favoriser la naissance d'un
autre (on n'ose plus dire : d'un autre homme) ; le champ ne redevient-il pas libre pour une autre vie, l'encore vraie vie dont parlait Rimbaud, que son absence ne rend guère apparente ?
L'homme-ordure de Reckett ne devrait pas nous distraire de ce qui se passe en retrait, chant silencieux du poète discret.
La leçon, c'est qu'il n'y a aucune figure à donner à cette vie : à preuve ce héros qui finit en déchet ; qu'il y al renoncer, a disparaître dans le
consentement, jusqu'à perdre conscience, car c'est la difficulté. Aucune allure à donner à cette vie, aucun style. Nulle recherche pour « transformer le maximum
d'expérience en conscience ». Plutôt laisser recroître le désir d'une fraîche docilité a ce qui dépasse la mesure de toute « vie individuelle
», désir de réapprendre le très lent mouvement de sourdre, la très réservée pulsation de source.
Il s'agit d'appliquer l'oreille contre la terre, en tout lieu de la terre, et de ménager alentour le silence, pour préserver audible le battement très sourd d'une venue très
lointaine à pas incompréhensibles.
C'est pourquoi le vivre poétique est distrait en toute situation acceptée : toutes «ont propices à l'audition inattendue mais espérée. Finie la vie de château
révolutionnaire dans l'Espagne des héros ; moins d'attention aux miasmes de la subjectivité. Suffit la dimension du vivre le plus banal, le plus brisé, sans volonté
d'unité prématurée, sans dessin, pas même celui d'une agonie pestilentielle ; vivre amoureux dans son insouciance ; vie qui ne se prête à aucune mise en scène
— et presque à aucune œuvre.
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012