Poèmes

La Laitiere et le Pot au Lait

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait

Bien posé sur un coussinet,
Prétendoit arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas.
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée

Comptoit déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employoit l'argent;
Achetoit un cent d'œufs, faisoit triple couvée :
La chose alloit à bien par son soin diligent.

«
II m'est, disoit-elle, facile
D'élever des poulets autour de ma maison;

Le renard sera bien habile
S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable :
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau.
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? »
Perrette là-dessus saute aussi, transportée;
Le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée.

La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le
Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?

Qui ne fait châteaux en
Espagne?
Picrochole,
Pyrrhus, la
Laitière, enfin tous,

Autant les sages que les fous.
Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;

Tout le bien du monde est à nous.

Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le
Sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même,

Je suis gros
Jean comme devant.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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