à
Jacqueline.
Où être bien?
La plainte
Est toujours là qui monte,
Comme si de monter
Lui donnait quelque sens.
Encore heureux
Qui peut trouver la porte
Et pleurer devant elle.
Et tu tâtais la lande
Et vu voulais crier.
Mais tu n'as jamais cru
Que crier pût servir
Quand c'était dans l'espace
Horriblement vacant.
Tu voulais contourner
Les murs et la maison,
Y entrer déposer
La charge de tes jours.
Jamais tu n'as maudit
Les pleurs et le sanglot.
Ils simplifient le monde.
Seul.
Qui dit : seul?
Qui m'accable d'un mot
A couleur de malédiction?
Ne confonds pas.
Celui qui s'en va seul
Porte avec lui les autres,
Désespère pour eux
D'espérer avec eux.
Celui qui s'en va seul
Cherche pour beaucoup d'autres.
Peut-être il a rêvé
De pouvoir aller seul,
Sans avoir à porter jusqu'à ceux-là
Qui le maudissent d'aller seul.
Sage peut-être
Qui a trouvé la grotte
Heureuse d'être un creux
Profond dans la pénombre.
Venir et s'attendrir
Sur un morceau de viande
Saignant encore à peine,
Criant plus fort la nuit
Que ne le fait la nuit
Et criant autre chose, encore,
De difficile à situer.
Lorsque je suis venu
Te prendre par la main,
Ce n'était pas par jeu,
Ni pour t'arraisonner.
C'était pour arriver
Au vrai point de départ.
Et nous sommes partis,
Baptisant l'avenir
De nos dernières larmes.
La rose dans nos jours
Jetée, agonisante.
De nul secours alors
Furent les arbres,
Le ciel aussi
Et les histoires.
C'est toutes les pierres
Qu'il aurait fallu
Et frapper, frapper,
En tenant les pierres.
Il viendrait, le moment
Plus haut que la revanche.
A genoux dans la pierre
Nous avons entendu
Cogner sur les parois
D'autres supplications.
Pleurant contre la vitre
Et peut-être la même,
Car de l'autre côté,
Ce serait là.
Le malheur peut venir
Du souvenir d'un
Dieu
Par honte rejeté.
Quelle douceur c'était,
Ces amours qui naissaient
Aux tournants du sommeil.
Mais les bêtes veillaient,
Regardaient et prenaient.
Un trou avec de l'eau
Qui bougeait sans bouger,
Qui attaquait encore,
Qui t'attaquait, toujours -
Pour quoi faire avec toi?
Plaine telle un sanglot
Qui s'étrangle et se cache,
Champ de blé supportant
Les jeux de l'alouette,
Est-ce en vous cette attente
Ou dans celui qui vous regarde?
Tu ne pleurerais pas
Si tu ne voulais vivre
D'amour pour cette terre
Qui te donne de vivre.
Tu n'as rien dérobé
Que ce que l'on peut prendre sans rougir.
Tu te cachais pourtant
D'être le seul à en vouloir,
Pour l'habiter longtemps,
Pour l'habiter d'amour.
Ce que tu voyais
Ne s'offrait jamais,
Ne conseillait pas.
Il disait pourtant
Qu'il y a besoin.
Le feu,
Pas le feu.
L espace,
Pas l'espace.
Les jeux,
Pas les jeux.
Les rêves,
Pas les rêves.
Les hommes,
Pas les hommes.
Il fallait revenir
A la nuit,
Aux lumières,
A l'inflexible fleuve,
A ses eaux mécontentes,
A la nécessité.
Et qui dans le grand noir
S'associerait à toi
Pour ne pas s'en aller,
Pour chanter au plus près
De ce qui veut rester?
D'où sommes-nous sortis
Pour avoir ces visages
A faire peine au jour?
La pervenche avait des racines
Quand tu l'arrachas pour la prendre
Et tu l'as portée contre toi,
Regardant à la dérobée
Pourquoi la fleur qui t'interroge,
Pourquoi la fleur qui te confond.
La campagne est pleine
De sommeil pour d'autres,
D'espèces de sanglots
Qui viennent vers les portes.
Droite et sur l'horizon plus grave qu'un bosquet,
La maison est abandonnée,
Qui ne peut être que malaise
Et qui s'en veut.
Il fallait donc que tu attaques,
A tout hasard.
Bien sûr, la lampe et le repos,
Le bon travail et le repos
La terre est sous nos pieds,
Solide, indifférente,
Heureusement.
En revenant des longs parcours,
De la campagne interrogeante,
La soupe affectueuse,
Les mets intelligents
Établissaient avec la terre
Des rapports à notre mesure.
La terre, notre assise,
Moins fragile que nous,
Qui nous aura permis
Les tablées fraternelles
Où nous avons goûté
Aux raisons de la terre.
Le rouge-gorge aussi
Rêvait d'autres saisons
Dont il ne savait rien
Que l'exigence
Contre le froid, contre le gel.
Le chant
Peut être du silence.
Il est silence
Entouré des sanglots
Que fait le temps
Contre lui-même.
*
L'éternité
Ne fut jamais perdue.
Ce qui nous a manqué
Fut plutôt de savoir
La traduire en journées,
En ciels, en paysages,
En paroles pour d'autres,
En gestes vérifiablcs.
Mais la garder pour nous
N'était pas difficile
Et les moments étaient présents
Où nous paraissait clair
Que nous étions l'éternité.
Le merle aussi
Peut avoir froid.
Il n'est plus qu'un oiseau
Conduit par son attente.
Il erre comme un autre,
Il a perdu le centre.
Quand le chant n'est plus là,
L'espace est sans passion.
Autour du tilleul,
Près de la pervenche,
Dans l'air qui s'émeut
D'être à leurs côtés,
Il doit y avoir un chemin
Pour aller vers eux
Les accompagner.
C'est au-dessous
Pour les secrets,
Les rendez-vous,
Les réservoirs,
Pour un espace
Aux dimensions de la bonté.
Ce n'est pas un malheur
De se savoir en cause
Et non plus de savoir
Le nombre des vivants
Pareillement en proie.
Comme font sous le vent
Les grandes graminées.
Le buis tout accordé
A ce qui le maintient
De buis irréductible.
Et toujours ce qui vient
Faire trembler le buis.
Accueille encore,
Recueille encore.
Tout s'oubliera,
Sauf cette attente
Qui fut comblée.
Du temps pourra venir
Pour occuper la sphère
Pleine de tous les temps
Vécus, accumulés,
Et de ce temps tenu
Au moment que tu parles.
Du temps vient dans la sphère
Pleine de tous les temps,
Qui chante leur silence
Et se tait dans leur chant.
Si hauts furent des jours
Comme de longs moments
Quadrillés dans l'espace,
Si hauts l'amour venu,
La tendresse, le don,
Si haut chanté le chant
Lorsqu'avec nous chantaient
Les murs et la fenêtre,
Les brindilles des bois,
La pierre des rochers,
Le fer et le sodium,
L'eau de toutes les sources
Et l'horizon lui-même,
Tant fut chanté le chant
Des grillons morts de joie,
Si haut fut le silence
Où le chant s'écoutait,
Que nous avons touché
Le dernier des plafonds —
Ou c'était quoi?
Ce n'est pas sans raison
Que nous avons tremblé
Devant la moindre flamme,
Que, devant la bougie,
Devant le feu de bois.
Nos mains se recherchaient,
Sans savoir si c'était
Pour célébrer,
Pour conjurer.
Puisque furent atteints
Les degrés du possible,
Il nous fallait encore
Essayer au-delà.
Et c'est peut-être alors
Que nous fut pardonné
Le crime de bonheur.
D'autres que nous viendront,
Plus patients, plus têtus,
Plus forts ou plus habiles.
Ils auront su ravir
Davantage à la terre.
Ils auront pour appui
Le chant qui fut chanté
Lorsque c'était à nous.
L'assemblée des vivants,
La fête quelque part,
La plus haute avec toi,
Ou la lande et le vide.
Et toujours, n'importe où,
Ce violon qui joue.
Le violon que joue le rien,
Jusque dans tout,
Est un défi trop étalé.
Va contre lui,
Chante avec lui, englobe-le.
Fais-le te colorer
Le vide sur la lande.
Regarde-la vibrer
De vos chants accouplés.
Apprends les granges
Plus longuement encore.
Vois que ce sont des grottes
Immigrées dans nos terres.
Apprends, toute une vie,
A peser leur lumière,
A contempler l'alliance
Du volume et de l'heure.
Comprends les délaissées
Qui viennent y cacher
Leur misère et des pleurs.
Va, fleur,
Avance.
Tout veut s'ouvrir
Et même nous, ces hommes
Plus effrayés que toi,
Moins assurés que toi
De donner leur mesure.
Allons de pair,
Dépensons-nous.
Je regardais la terre
A la fin d'un beau jour.
Il n'y avait
Presque pas de mystère
Au bien-être des labours.
Qu'est-ce que fait le chêne
Au long des chemins creux
Ou dans l'obscur du bois?
La cognée sera prête
Avant que tu sois prêt
Et faite avec ton bois.
L'hécatombe est dans l'air
A l'abri du silence.
Nous les avons connus,
Qui portaient le massacre
Au plus bas du carnage,
Comme ferait un chien
Qui retrouve son ordre.
Mais ils ressemblaient trop
A ces bêtes qui viennent
Dans les songes des hommes.
Et leurs chants et leurs chants
Jusqu'au bord du carnage.
Ces bras qui sont des pir.i
D'insectes sans sommeil
En marche vers les lieux
Où fouiller sur le vif.
Broyer jusqu'à ces gorge.
Qui parodient le chant.
Souviens-toi des foules en attente
Et de l'espoir trouvé,
De l'épaisseur commune
Où vous aviez racine,
De l'espace innocent
Où vous chantiez un chant
De glorieuses corolles
Que l'espace voulait
Porter vers d'autres jours.
Sur la terre en travail
On travaille pour plus.
L'étoile pourra voir
En revenant d'ailleurs
Un peu moins de malheur
Dans l'espace des deuils.
C'était souvent les noces
Quand même avec la terre,
Ce qu'elle doit porter,
Engloutir et donner.
C'était pour elle encore
Les larmes mal venues
Pendant le corps à corps
A n'en jamais finir
Qui sanctionnait des noces.
Noces pour la lumière,
Pour tout le noir caché.
La terre pour la fête
Tremble de trop donner.
Tout se touche et s'affine,
Arrive dans le chant.
L'étendue se rassemble
Autour de notre vœu.
La lumière est donnée
Pour écouter le chant.
Merci pour nos journées
Qui ont la dimension
De la terre livrée
Aux profondeurs des noces.
S'il y a temple,
Nous sommes le temple.
Terre qui nous a faits
Ces errants que tu portes,
Incertains du local,
Incertains du parcours,
Pour savoir qui nous sommes,
Nous essayons le chant.
Et pour aller plus vite
Que ne grimpe la peur,
Cruels, nous t'imposons
Des lois qui sont tes lois,
Cruels et déchirés
Que ce soit du dehors.
Terre, arrive le jour,
Quand nous te connaîtrons,
Où nous pourrons entrer
T'épouser, frissonnant
De voir s'ouvrir à nous
Des espèces de portes,
Des espèces de murs
Debout sous notre chant
Qui en sait plus que nous,
Qui sera notre loi.
Ce qu'il fallait
Nous l'avons fait,
Plus ou moins bien,
Fleur, tous les deux.
Le long chemin
Nous a menés
Jusqu'aux confins.
Est-ce un adieu?
On a tenu.
Poème publié et mis à jour le: 13 March 2014