Poèmes

Élégie de la Foret de Ropraz - Élégie

par Jacques Chessex

Jacques Chessex

Ecoule, bûcheron, arrête un peu le bras

Tu tues ma mémoire avec ces arbres

J'ai songé dans le bocage que tu abats

J'ai suivi mainte muse sous cet ombrage

Ta hache fait couler la résine crois-tu

Mais c'est mon souvenir que tu tues

L'odeur des corps les seins la douce aisselle

Toute la mémoire bocagère tombe sous tes armes

N'entends-tu les oiseaux crier l'alarme

Ou sous l'écorce un chœur effrayé qui t'appelle

Ne vois-tu le lait dans le bois que tu entailles

O ces figures en larmes dans la faille

Ecoute, bûcheron, suspends un tel dégât
C'est plus qu'une forêt que tu jettes à bas
Tu ne connais même pas qui tu assassines
Arrête un peu ton bras, t'avertissait
Ronsard
Lorsque tu détruisais la forêt de
Gastine
Songe à ce bois tout en cendre plus tard
Au désert de
Ropraz attristé de troncs morts
L'oiseau ne trouvant plus l'accueil de nulle branche
Bientôt le vide à cette place ô boue blanche
Au lieu de la verte frondaison, par ton tort

Arrête, bûcheron, laisse un méchant travail
N'entends-tu ces appels sous le concert des haches?

Mais tu n'écoutes rien et c'est ce qui me fâche

Des respirations enfouies dans l'émail

Ou la moire soyeuse des mousses et des tiges

Moi je retrouve mes traces jusqu'au vertige

À chaque pas plus avant dans ce bois

Chaque trait de la muse au corps adroit

I.es mots qu'elle avait pour le sommeil et pour le

songe
Ainsi l'arbre dont le destin me ronge
Si tu l'abats tu me défais de ma vraie voix
Me laissant seul, sans troupe, bel arroi



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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