Poèmes

De la Prairie

par Eugène Guillevic

Eugène Guillevic

Si je dis vrai
De la prairie,

Il se peut

Que ce soit aussi

Pour changer
Quelque chose ici.

Est-ce que, justement,
Est-ce que dire vrai

Ne se reconnaît pas
A ceci que l'on sait

Que ce qu'on dit
Marque sa prise

Sur ce plein que l'on regardait
S'acoquiner avec du vide?

Agir sur ce fragment du monde
Qui se déclare en ce moment
Par la prairie,

Ce n'est pas nécessairement
Penser et dire

Ce qu'il semblait qu'on attendait
Sur les lieux mêmes.

Pour dire vrai sur la prairie,
Sur le moment qu'elle se donne,

Regardons, ou faisons semblant,
Bien en deçà, bien au-delà,

Dans une grille imprévisible

Où la prairie cherche son temps.

*

Je regardais la grille
Pour trouver la prairie
Dans son plus fort moment,

Et la grille m'a pris

Et m'entraîne et m'emmène.

Ainsi, je monte et je descends
A travers, autour d'une grille
Qui s'éloigne de la prairie

Dans la distance
Et dans le temps,

Tellement bien que la prairie
Pourrait finir par n'être plus
Qu'un souvenir, voire un remords,

Comme un drapeau qui flotte au loin
Entre le vent et le repos.

Je suis parmi la grille,

Dans du gris et dans du silence

Que vient brouiller
Le vert de la prairie.

Là quelque chose d'autre
Demeure la prairie

Ou plutôt le devient.

*

C'est donc ailleurs,

C'est dans un autre temps,

Qui paraît voguer
Hors du temps,

Que j'entends parler du moment
Où la prairie va se trouver.

Il ne faut pas exagérer.

Ce quelque part dans cette grille,
Dans ce va-et-vient par des temps
Qui tournent autour de l'instant,

C'est en fait mon observatoire
D'où mes yeux touchent la prairie
Avec mes mains.

Car sans toucher
On ne fait rien.

Herbes, depuis toujours
Traitées comme des herbes

Par le vent, le soleil, la pluie,
Tout ce qui veut
Faire parler ces lieux
Selon son propre code,

De cet endroit sans lieu
Où je suis dans la grille,

Je vous vois n'être plus
Que du vert et du calme,

Un calme, comparable

A l'intérieur des adjectifs,

Aux équations du premier degré :

Vous êtes le premier degré
De l'ouverture.

Il est toujours assez facile
De trouver l'ouverture,
De trouver le départ.

Il peut sembler que chaque fois
Que tu crois prolonger,

C'est pour trouver encore
De l'ouverture et du départ.

Mais reste avec ce vert
Et ce qui est autour.

Attends que viennent d'autres grilles
Si ça leur chante.

Toi, de ce vert

A ta mesure de sans mesure,

Avec ce qui se trame

Autour de cette tache

De silence et de va-et-vient,

Dans la couleur,
Dans l'eau repue,
Dans le silence,

Tu as de quoi.



Poème publié et mis à jour le: 13 March 2014

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