Poèmes

238

par Lemarcis Christian

Pour Ebru Timtik

Que des os sous la peau. Que des yeux sans regard.
Torturée. Affamée. Décharnée. L’air hagard.
Morte bien que vivante. Vivante, c’est beaucoup dire.
Emprisonnée. Pourquoi ? Pour avoir osé dire.
Le verbe est dangereux. Parler, il ne faut pas.
Pas ici, en Turquie. Ne pas dire cela :
La vérité. Se taire. Obéir. Et l’échine
Courbée, se prosterner. N’être qu’une machine.
Ne pas bouger. Ne pas gémir. Ne pas penser.
La pensée est un crime. Il faut l’atomiser.
Surtout chez une femme. Une femme est soumise.
Elle porte le voile et jamais n’est assise
Auprès des hommes. Non. Ne prend pas ce fauteuil.
Tu prends le tabouret. Sous le voile, le deuil
De son humanité. La femme n’a pas d’âme.

Ebru. Que voulait-elle ? Avait-elle un programme ?
Oui : vivre en liberté. Et pouvoir s’exprimer.
En toute égalité. Mais c’est trop demander.
Et pourquoi exiger un procès équitable ?
Tu dois te contenter des miettes sous la table.
Alors que faire ? Rien. Quand on est bâillonné,
Les cris sont des soupirs. Des râles étouffés.

La grève de la faim pour solution ultime.
Ne pas manger. Se suicider. Expier son crime.
Le crime d’être femme en ce pays maudit.
Oui, deux cent trente huit jours à vaincre l’appétit.
Jour à jour dépérir. Jour à jour disparaître.
Insensé plaidoyer pour convaincre le maître.

Réception au palais. On bouffe. On baise. On rit.
Le maître est généreux. Le laquais s’affranchit.
Byzance tous le jours. Les ripailles abondent.
N’en jetez plus. Les jeux sont faits. Sous les rotondes,
Dans les bosquets, tout est orgie. Les chambellans
Abaissent leur culotte… Hélas ! Allah est grand.

Extrait de: 
Folles avoines

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