Poèmes

Phébus et Borée

par Jules Laforgue

Jules Laforgue

Borée et le
Soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur
Contre le mauvais temps.
On entroit dans l'automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut, le soleil luit, et l'écharpe d'Iris

Rend ceux qui sortent avertis
Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire;
Les
Latins les nommoient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte. «
Celui-ci, dit le
Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents; mais il n'a pas prévu

Que je saurai souffler de sorte
Qu'il n'est bouton qui tienne; il faudra, si je veux,

Que le manteau s'en aille au diable.
L'ébattemcnt pourroit nous en être agréable :
Vous plaît-il de l'avoir? —
Eh bien, gageons nous deux,

Dit
Phébus, sans tant de paroles,
A qui plus tôt aura dégarni les épaules

Du
Cavalier que nous voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. »
Il n'en fallut pas plus.
Notre souffleur à gage

Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,

Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise, en son passage,
Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau,

Le tout au sujet d'un manteau.
Le
Cavalier eut soin d'empêcher que l'orage

Ne se pût engouffrer dedans;
Cela le préserva.
Le
Vent perdit son temps :
Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.

Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avoit mis,

Le
Soleil dissipe la nue.
Récrée, et puis pénétre enfin le
Cavalier,

Sous son balandras fait qu'il sue,

Le contraint de s'en dépouiller :
Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

Plus fait douceur que violence.



Poème publié et mis à jour le: 14 November 2012

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