Ah chien et loup du soir
Un
Paris d'entresols
Referme ses tiroirs et reprend son chapeau
C'est l'heure las§e où la poudre de riz s'envole
Qui masque la sueur dans les plis de la peau
Un coup d'œil aux miroirs vaguement se console
Le poème va-t-il avoir d'autres héros
Tout un peuple hâtif se bouscule et se croise
Où s'en vont vos regards debout dans le métro
Femme peinte de lait homme au menton d'ardoise
C'est l'heure où le hasard rentre de son bureau
Les autos s'arrêtaient aux feux rouges
L'automne
Entre ses doigts battait les cartes de son jeu
Que de gens que de gens qui souhaitaient maldonne
Et tout recommencer avant d'être chez eux
Mais le vent a rouvert les chemins monotones
Et tout reprit son cours sifflant un air connu
Des cafés éblouis sortaient les voyous blêmes
Des lampadaires neufs flambaient les avenues
On voyait s'allumer au front des
H.B.M.
De blancs œillets tremblant comme une fille nue
La ville à ce boucan que des ombres escortent
Éventail des vélomoteurs développé
Scande sur les pavés de son cœur à ses portes
La polka des blousons de cuir aux bras crispés
Le souffle en fait au loin tourner les feuilles mortes
Lorsque le bruit retombe il semble que vraiment
Le silence pareil au parfum de la rose
Pareil à l'eau profonde et pure du moment
Tout à coup le silence est une étrange chose
On dirait le partir soudain de deux amants
Quartiers déserts que tout réveille et que tout berce
Entre ces bâtiments le ciel est à l'étroit
Et le bariolage atroce du commerce
Cerne la place vide où caracole un roi
On n'entend plus qu'au loin des pas qui se dispersent
Des pas s'en vont des pas s'en vont le long des quais
Et des chansons et des chansons se sont éteintes
On n'entend plus ce rire au loin qui se moquait
Un ronron de moteur une porte une plainte
L'ombre étouffe et confond les sanglots les hoquets
Il y a beaucoup de gens qui vont au théâtre
Les
Messieurs au vestiaire ont mis leur pardessus
Ce soir pour le programme il a fallu se battre
J'aurais choisi l'autre chapeau si j'avais su
Tu as les billets
Fauteuils cent deux et cent quatre
Qui mène aux accoudoirs ce monde incognito
Le simple ennui la mode ou la pièce peut-être
Le
Jean-Jacques
Gautier était mauvais plutôt
Le désir d'oublier le désir de paraître
Madame aura voulu montrer son beau manteau
Allons pour quelque temps ils vont prêter leur âme Épouser cette histoire et ses péripéties
On verra dans leurs yeux se peindre un même drame
Sortons
Celui que je cherche est ailleurs qu'ici
Au carrefour
Montmartre à reluquer des femmes
Ses cheveux sont frisés 11 rêve à l'Algérie
Il fait un carton dans un tir du boulevard
Il s'arrête un instant dans une brasserie
A moins qu'il ne se soit assis dans un
Milk-Bar
Pour rouler dans ses doigts la rangaine du gris
Ou bien c'est la kermesse et sa tête de laine
S'appuie à l'appareil qu'il écoute debout 11 a pour la musique un attrait de phalène
Pour lui cette chanson semble être un rendez-vous
Ce qu'il aime cet air qui dit
Plaine ma plaine
Et dans ses yeux mi-clos se lèvent des palmiers
Le petit âne a la couleur de la colline
Ma mère avait les yeux plus noirs que les ramiers
L'eau petitement coule où la tuile l'incline
Mon enfance revient dans ses pas coutumiers
Plaine ma plaine où toute lumière est si vive
Qu'elle brûle son ombre étroite à l'olivier
Et la vie a le goût et le feu de l'olive Ô fellahs c'est ce paysage où vous viviez
En ces temps sans expédition punitive
Plaine ma plaine où le nuage est un passant
Plaine sans pluie un jour où tomba la colère
Et depuis ce jour-là dans le village absent
Monte l'odeur du chaume et des chairs qui brûlèrent
Et la terre altérée appelle un autre sang
Les phonos tournent sous des lampes de couleur
Dans le
Pathé-Kermesse énorme et murmurant
Il a rouvert ses yeux comme des figues-fleurs À tous les appareils chante un air différent
Il a rouvert ses yeux plus noirs que la douleur
Pour suivre ces soldats éloignons-nous de lui
Qui vont se bousculant un calot sur l'oreille
Et plus ils parlent fort plus profonde est la nuit
La
Trinité passée et plus ils ont sommeil
Il commence à tomber une petite pluie
Ces vers nous ont conduit du côté de
Pigalle
En retienne chacun ce qu'il a le mieux lu
Je vous tends le miroir illégal ou légal
C'est vous qui choisissez moi je n'en sais pas plus
Si vous vous trouvez laids voilà qui m'est égal
Belle écuyère allons vite à califourchon
Les étrangers sont là
Toutes la jambe en l'air
En avant la musique et sautent les bouchons
Ladies et
Gentlemen on ne veut que vous plaire
Aimez-vous le strip-tease ou le ciné-cochon
Salut à toi
Laurec nain génial et triste
Dont l'art triomphe ici jusqu'au petit matin
Danseuses pressez-vous et pressez-vous choristes
Arrivez arrivez
Paris fait sa catin
Voici venir les cars qui portent les touristes
II
Rappelez-vous ce que de
Londres dit
Shelley
Hell is a city much like
London
There are ail sorts of people undone
And there is little or no fun done
Il faut rendre à
Paris ce qu'à
Londres l'on donne
Comme
Londres
Paris est un enfer à clefs
Cette citation vous le voyez me plaît
Ville tu ressembles diablement à l'enfer
Ce n'est pas le feu qui manque ou le mal à faire
On rencontre des damnés partout dans la rue
Les voilà réduits à la portion congrue
Ils ont vendu leur âme et quant à leur amour
C'est une marchandise ici qui n'a pas cours
La force est à vil prix l'homme à donation
On solde les héros les cieux les passions
On solde les yeux purs les songes les promesses
Paris mon beau
Paris ne vaut plus une messe
On solde on solde l'avenir et le passé
Et puis prenez mon cœur si ce n'est pas assez
La boue et la sueur les larmes et les rires
Vous trouverez, ici ce qu'il faut pour décrire
Et la déconfiture et les abaissements
Et l'odeur à tomber dont on fait les romans
L'encre des quotidiens nous tient lieu de cervelle
Car c'est vivre pour nous que lire les nouvelles
La réclame aux balcons accroche ses panneaux
Salit la vue et l'autobus et les journaux
Mané
Thécel
Phares au néon de nos murs
Une épouvante épelle un pâle
Shell-Azur
L'archange de l'épée a cadoriciné
Biceps et seins géants
I'Épinal des cinés
Tout se couvre de dieux sexy sur isorel
Sauf l'emplacement réservé pour
Rasurel
Tout jusqu'à notre corps au commerce est loué
D'une lèpre d'argent nous sommes tatoués
Wagram est un secteur le scandale une gaine
Madame a les cheveux mauves de
Van
Dongen
Tout est préfabriqué le rêve et le manger
On trouvera son bonheur aux
Arts-Ménagers
O pool-charbon-acier
Bénélux
Euratom
Nous peuplons le vacarme avec des mots fantômes
Et nous acclimatons sur les
Champs-Elysées
Doucement l'horreur en salle climatisée
De suspense en suspense et d'image en image
Le meurtre grimaçant imprime son grimage
Nous entrons aux replis du crime d'Attila
Aux perceurs de plafonds et nous sortons de là
Avec le seul regret que le sang soit fictif
Télévisez-nous la mort prise sur le vif
Nos sens sont émoussés de couleurs et de bruits
C'est peu que le relief il nous faut dans la nuit
Sentir sur nous les mains assassines qui frôlent
Et saveurs et parfums viennent jouer leur rôle
Tout spectacle pourtant nous demeure enfantin
Sans le sixième sens et le dernier instinct
La souffrance qui fait en nous ses fleurs éclore
Qu'on nous donne enfin des films en techni-dolor
Vite le multiplex hurlant des agonies
On demande une guerre et que tout soit fini
Allons du calme il faut tout regarder en face
De fond en comble ensemble il faut que l'on refasse
Même l'enfer même la nuit patiemment
Patiemment ensemble et du commencement
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012