I
Rien n'est pareil à soi tout a d'autres limites
Aujourd'hui nous avons passé comme des taupes de feu par un tunnel de miroirs sous la
Croix-Rousse
Suivi le cercle des hauts pylônes qui font le tour de
Lyon derrière des quartiers de couleur
Où l'air bourdonne du croisement des coléoptères bleus
On voit lo jour sous les maisons peintes comme si la mode pour elles était aux robes courtes
Et les chemins de fer s'en vont vers l'est avec leurs wagons de métal
Clinquants et claquant sur le ballast et le cri d'égorgé des michelines
Un crime à chaque passage à niveau
C'est ici le pays de mon père avec ses eaux partout captées
Rien n'est pareil à soi
J'imagine
Là-haut dans le coude levé du
Rhône
Mandrin
Trompant la gabelle avec sa troupe aux doigts de poudre qui ne reonnaît plus les confins de
La
Balme
Et d'ailleurs il n'y a plus à tricher de douane à
Chambéry
Plus de frontière
À
Chambéry pour le verre de
Venise et le poivre des tapis de
Perse
Déjà mon enfance est déconcertée au-dessus d'Ambérieu
Dans ces grandes odes claudéliennes qu'effarouchent des téléphériques
Ces chemins abrupts douchés sous les cascades tout un jour
Qu'on remontait en tapissières
Royaume ancien des scieries où les chevaux tiraient les billes de bois
Rien n'est pareil à soi dans ces architectures blafardes
Ces ponts d'audace et ces cuvettes d'apocalypse
Danger de mort les courants à haute tension passent de montagne en montagne
Sur leurs échasses de sept lieues montant des épines de fer
Villages noyés à main d'homme et les machines sur la digue
Dans leur petit appartement moderne où l'on n'a presque plus rien à faire
Qu'à regarder le serpentin pierreux des routes
Comme une cigarette par le nez fumée
Par-ci par-là des wagons abandonnés où des hommes usés noirs et frisés boivent la bière chaude
Comptent les jours de l'été maussade
Et tout ce trimbalemcnt fait que les moutons en transhumance
Changent d'itinéraire en raison des travaux
La nature est pleine de camions avec des belles filles de papier découpé sur le mufle
Où la radio chante pour les gaillards de nuit
Dépassés de bizarres escarbilles devant
Ces chapelles d'un culte baroque avec leurs colonnes blanches leurs écritcaux verts
Ponctuant tout au long ce pèlerinage nouveau de l'homme dans le paysage altéré
Et des incisions chirurgicales mettent à jour
Un saignement de glaise aux tournants coupés
Voilà soudain que je m'arrête où longtemps fut tracé
Le départ d'entre nous et la
Terre d'Empire
Et que je regarde en arrière ainsi
Qu'un soldat hésitant sans ordre à franchir ce pas de l'Italie
Je porte mes yeux gris à l'inverse du temps
Comme une pluie oblique oblitérant la nouvelle image
Je porte mes yeux gris comme un couteau traçant à rebours sa férocité
Je porte mes yeux gris à rebrousse-poil du soleil et de l'histoire
Je porte mes yeux gris vers cette patache à quatre chevaux de halte en halte
Avec son chargement de voyageurs vannés venant à petites journées
D'auberge en auberge les uns sur le toit do poussièie
Les autres dans le caisson noir étouffant tassé de la voiture
Je porte mes yeux gris sur cette cargaison de mil huit cent trente-huit
Un assourdissant mois do juillet traversé par la malle-poste
Et l'on met pied à terre dans les montées
Il y a des jeunes gens gainés de noir et serrés jusqu'au menton d'une cravate claire
Des rouliers même qui ne montreraient pas l'aisance de leur cou
Les dames dans la superposition d'étoffe des volants et des bordures
Un cahotement de destins habillés jusqu'au bout des doigts dans la sueur de messidor
Des messieurs d'âge soigneusement qui replient les pans de leur redingote
Et les malles à courroies poilues comme des poitrines de bandits
Le postillon sur le premier canasson de droite
A des rêves de fouet qui siffle un air à danser
On s'arrête parfois pour un troupeau comme une marée au bêlement des brebis
Ou dans l'ombre d'une place à fontaine une oasis de maisons aveugles
Sous la bénédiction fraîche et pâle des platanes
Parmi les grands pendards paresseux qui font la sieste le chapeau
Eamené sur les yeux et la bouche ouverte au sommeil
Tout cela pour nulle autre raison que cette femme ni jeune ni belle
Qui ne descend pas de la diligence avec ses filles et son mari
Assise au fond dans ses vêtements et sa modestie
Les yeux perdus écrivant sur ses genoux de temps à autre
Une ligne au crayon dansante et mal formée
Et comme elle ne voit qu'un rêve et ses raisons d'y rattacher
Des phrases de verveine avec le velours du souvenir
Je ne vois ni le marché de cruches et de maïs
Croulant de melons et d'aubergines aux rampes des
églises
Ni les jambes qui se délassent ni les chevaux qui s'abreuvent
Ni les bras nus des filles curieuses derrière les jalousies
Ni le montreur de marmotte avec son orgue à manivelle
Mais seulement cette femme d'alpaga qu'habite
Un chant de source amer et doux silencieuse et ridée
Tandis que les siens s'achètent des fruits inconnus frais de leur eau profonde
Et parlent de
Milan qui les attend où se forme
La troupe itinérante des comédiens car le père
Va jouer les jeunes premiers comme il y a vingt-deux ans
Quand l'Empereur
Ferdinand au
Dôme sur sa tête
Enfoncera la couronne lombarde
Je ne vois que ce dialogue entre cette femme et se3 abîmes
Ce colloque secret de parfums dans une armoire
Ce long choix des mots cachant une blessure
Les mots de son royaume à sa musique patiemment
ajustés
Ce vocabulaire d'une vie où tout n'est que violettes
noires
Paupières sur l'éclair baissées
Regrets d'un ruban qu'on donna
Par imprudence
Je ne vois que cette femme apparemment
Sèche et sans charme dans la voiture publique
Comme un signet de hasard mis entre les pages d'un livre interrompu dans sa lecture
Elle a dû réparer le linge de
Prospcr avant le départ
Piquer ses doigts vieillis laisser
Tomber écarlate l'œuf à repriser de son tablier noir
Parce qu'elle avait senti soudain l'odeur ancienne des tilleuls
Un soir de l'Autre alors que sa taille pliait sa prière dans l'attente
Je ne vois qu'elle triste et troublante
Dans un carnet à l'italienne une fleur anonyme entre les feuillets séchée
Je ne vois plus qu'elle plus que celle qu'on n'appelle
Plus sous la fenêtre du jardin d'une voix nocturne et chantante
Qu'on n'attend plus dans l'herbe bleue ou les cristaux brillants d'un bal
Je ne vois plus que ce doigt qui pense au passé passant sur une lèvre à jamais déserte
Je ne vois plus que ce foyer dispersé qui souffre encore dans ses cendres 0 braises braises déjà sous les cheveux gris
Je ne vois plus que cette injustice longuement de survivre
Cette éternité d'abandon cette apparence machinale
Qui tressaille à son nom toujours quand quelqu'un lui dit
Marceline
Comme une privauté volée une caresse d'inconnu À jamais subie emportée au fond de sa jeunesse
Et l'épouvante de trahir le vertige alors que ce fut
Je ne vois plus que cette femme et cette algèbre de son âme
Et sa parole écrite est le rouge à sa bouche sans fard
Chaque syllabe est une abeille en chassant l'autre avant d'avoir butiné
Et leur bouquet soudain tombe à terre comme un don d'infidèle
Elle n'en a jamais pris l'habitude après tant et tant d'années
Qu'invisiblement cela saigne et soupire et pleure au fond d'elle
Je ne vois plus que cette femme éperdument
Pour dire sa vérité qui mentira toute sa vie
Tout cela qui fut sa romance et qu'on trouvera ridicule
Car on a très vite cessé d'aimer ce qui fait sujet de pendule
Et puis nous avons maintenant le goût d'une autre
poésie
Je ne vois plus que cette femme je n'entends
Que le frôlement de sa robe au mur des chambres muettes
Que ses vers à mi-voix ses prétextes perdus qu'on pourra
comme un théâtre
Avec indifférence lire où c'est convention que l'amour
Je n'entends plus que cette femme vieille et laide et ce
pas
Furtif
Je n'entends plus
Entre les murs égaux des vers où la rime soupire
Que ce halètement ce battement de sarabande
Cette contrebande du cœur
Voilà qu'il s'est mis à pleuvoir une tiède pluie estivale
Qui ne mouille pas la poussière et semble ajouter à la
sueur
Les haleines du jour en ont très vite fini de cette tentative
Les chevaux ont repris le trot sur cette passagère hypocrisie du ciel
Il y aura sans doute encore une halte vers lo soir
On loge à pied et à cheval chandelles de parcimonie
La nuit sera longue dans le merisier des lits sous l'édre-don cramoisi
Laissant d'interminables heures à des conversations étouffées
Et le lendemain tout à coup ce n'est plus seulement la
Savoie
Les chutes d'eau les uniformes des carabiniers les lacs
Les villes thermales avec des
Anglais en voyage
L'AIpe âpre et haute et ses cloîtres ses petits murs de soutènement
Une fois
Modane passée avec ce beau nom de basse qui roule dans la gorge
Les enfants courant dans la roue offrir leurs bouquets d'edelweiss
Maintenant comme
Lyon c'est tes entrailles qu'on traverse
Mont-Cenis et non plus par où
Napoléon passa
Entre
Lanslebourg et
Suse
Avec ce grand cri quand devant soi la voilà qui dévale
Par ces carrefours verts où la
Madone brille
Tout à coup l'adorable et riante
Italie
Le soleil dans la brume et les genévriers
Les petits oliviers piqués dans les champs roses
Déjà ce parler du
Piémont fait de pépiements et de groseilles
Êtes-vous aveugles que vos yeux ne sont point éblouis
Et la lumière tramontane se répand sur toute chose
Mais tombez tombez donc à genoux à cette jetée extrême
de vous-mêmes
M'entendez-vous réveillez-vous cette fois
C'est bien elle à vous qui s'ouvre entendez-vous
Découvrez votre front buté je vous dis
A genoux
C'est elle cette fois ses yeux noirs et ses rangs de corail
Ses violons ses palais son vin gardé dans la paille
Je te salue
Italie ô terre mystérieuse à force de lumière
Je t'amène mes voyageurs et l'homme qui porte un
bonnet grec brodé de perles
A gardé je ne sais quel éclat de la scène aux yeux du
parterre
Les filles encore pourraient passer à cause du jeune âge
Mais celle que je te confie incompréhensiblement sans moi
Comment la reconnaîtrais-tu dans le carillon de tes
cloches
Falote fanée effacée
Comment la reconnaîtrais-tu sans moi sur tes terrasses
Comment la devinerais-tu dans l'ombre entre les cyprès
de tes jardins
Comment deviherais-tu ce qu'elle cherche ici comme un
loup dans la forêt
Si faible et si folle au milieu de tes statues
Où se dissimule une ombre qui la fuit
Une absence
Et personne à qui parler de lui ni lui-même
Te souviens-tu de lui seulement
Italie
Écoute cette femme qui te parcourt d'un silencieux concert
Cette femme de murmures divins dans une chambre d'hôtel
Qui s'en revient d'avoir erré dans une ville de marbre et de mascarades
Où le soleil est du vin renversé l'ombre sent l'ambre du figuier
Lasse à mourir de la beauté des pierres
Les yeux -pleins d'églises dit-elle
On dirait un grillon perdu dans une maison sans cheminées
Partagée entre cet homme en elle ce ravage d'elle-même
Ce chant qui ne veut pas mourir
Et les soucis mesquins l'argent qui manque et les vêtements usés
Les mécomptes de la troupe et les cris des comédiens
Écoute cette femme
Italie
Italie
Comme une chevelure défaite sur tes pavés
Une écharpe à tes grilles
Un mouchoir froissé sous le pas indifférent des chevaux
Et tes beaux garçons nonchalants dans la rue aux arcades
N'ont pas même songé la suivre de leurs yeux allongés distraitement
Car on ne peut de toute évidence tirer ni de l'argent ni du plaisir de cette étrangère
Qui va peut-être dans les hôtels offrir des dentelles de son pays natal
Duègne à cette heure sans emploi moins qu'une maque-relle
Allons il est temps de rentrer dans la trattoria fraîche et sombre
Où la charcuterie au plafond se balance avec accompagnement de guitare
II
Celui-là qui dort à mon côté dans la chaleur et l'accoutumance
N'est un homme pour moi que par la configuration de son corps
Ce n'est que pitié si j'ai de lui ces enfants mes douces chaînes
Et même la beauté qu'il eut n'était pour moi qu'une diversion dérisoire
Je n'ai jamais pu dans la nuit il n'en sait rien m'habituer à sa respiration
Pauvre être faible et fat que depuis tant d'années
Je m'astreins à flatter comme un cheval couronné
Compagnon du mensonge à son cou portant le collior de mes paroles
Et quand j'ouvre mon âme à ces mots qui sont à mes sentiers
Le secret des mûres d'automne
Quand l'Autre m'envahit et se fait mon langage
Quand il revient s'asseoir sur le pied de mon lit
Et que l'arbre et le vent le jardin la fontaine
Ne parlent que de lui
Ah déjà ma pensée épouse les cadences
Dont je suis l'Andromède hélas et non
Persée
Cet homme le seul homme à mon âme bercée
Déjà mon âme danse
Et je disais j'étais à dire
Que tout cela pour celui dans la chaleur et l'accoutumance à mon côté qui dort
Cela ne sera jamais que vers à mettre en musique
D'une châtelaine à l'ogive et d'un beau troubadour
Il regardera mon cœur à la lorgnette il est toujours à l'Opéra
Il dit bonjour à des gens qu'il connaît dans la salle
Il est là surtout pour se montrer
Et s'il mentait et s'il savait sans en rien dire
Le regarder parfois de haut en bas me déchire
Je suis auprès de lui de la charpie
Pour quelqu'un qui ne sait pas saigner sans blessure
Sans d'abord se savoir blessé
Mon
Dieu vous me voyez
Je ne suis qu'une femme
Vous me voyez mon
Dieu je n'étais qu'une enfant
L'amour a fait de moi ce passage de flammes
Défendez-moi de lui qui si mal m'en défends
La prière à ma lèvre est toujours un blasphème
Je no dis votre nom que pour me protéger
Je ne dis votre nom que pour dire que j'aime
Sous mes cheveux neiges
Je me souviens
Je regardais innocemment par la fenêtre
En ce temps-là n'étais-je pas libre de donner mon cœur à ce passant
Il l'a pris sans rien me demander laissant
Dans ma poitrine ce grand vide
Non je ne maudirai pas le soir de sa venue
Je ne maudirai pas sa lèvre
Ni ses bras
Ô mon
Dieu vous qui savez tout savez-vous bien
Ses bras sa force et son étreinte
Vous a-t-il tenu contre son ventre ô mon
Dieu dans ses jambes dures
L'homme l'homme pour la première fois tout au long de vous
Son souffle a-t-il fait plus légers vos cheveux
Ne détournez pas de moi ce regard irrité de mes paroles
Le trouble de ma chair en rien n'est différent de cet élan vers les cieux
Le cantique est le même et l'encens qu'on respire
Et l'approche de l'Homme et votre approche à
Vous
Et ses yeux les avez-vous jamais vus mon
Dieu qui
s'allument
Doucement
Qui se posent sur vous comme une valse de
lueurs
Alors en vain vous lui parlez en vain vous faites des
phrases
Il se tait comme il se tait avec ces yeux-là
Et plus profondément il se tait dans les buissons de sa
malice
Plus vous parlez plus vous parlez pour conjurer cela qui
va venu-Plus vous parlez comme une fleur s'effeuille
Plus vous parlez comme le rempart inutile d'une main qui supplie
Plus vous parlez ah plus vous
Et lui l'œil
L'œil parfait l'œil peint comme aux dents le rire
Le poids de l'œil sur vous mon
Dieu le poids de l'œil
Parfois même aujourd'hui dans cette chambre il entre
Et me prend par la main
Je suis une ceinture à jamais dénouée
Il fait de moi tout ce qu'il veut
Il m'abandonne
Je l'entends longuement marcher dans le jardin
Il a des pas de primevères
Et ses épaules sont le parfum de la nuit
Jusqu'au matin qui tarde à la tempe des vitres
C'est son haleine son haleine que je vois
Il arrive mon
Dieu qu'à vous je le préfère
Pardonnez-moi cela
Comme il sait dans ses doigts courber briser les branches
Et l'arbre qu'il meurtrit à ses doigts n'en veut pas
Son pied qui la foule est une confidence à la terre
Pourquoi faut-il qu'il y ait une porte à l'enclos
Là-bas la tentation des sentes
Des vallons pour sa course ailleurs et son sommeil
Temps heureux je n'étais jalouse que des saules
Et comme il vint un soir un soir il est parti
Combien cela fait-il de jours que je l'attends
Combien d'hivers et de printemps cela fait-il
Qui peut compter sur les doigts de l'âme une éternité
d'absence
Et ce que jo n'ai pas eu de lui comme un vent dispersé
Je demeure dans ma vie avec devant moi ce bonheur
renversé
U me semble parfois pourtant le voir et qu'il me touche
Il me semble et je sens quelque chose de pâle sur ma
bouche
Une ombre dans mon ombre un écho dans ma voix
Ne t'en va pas méchant ne t'en va pas fantôme
Mon cœur après vingt ans et plus est toujours une porte
qui bat
Sur ton départ
J'ai beau dire de la fermer aux servantef
Les rideaux frémissent encore où tu les as froissés
Je n'ai jamais jeté ces roses qui périrent
Dans le fauteuil élimé par d'autres c'est toujours
Toi qui t'assieds
C'est toi seul qui baisses les lampes
J'ai vieilli moi dans les miroirs
Mais toi toi qu'ils n'ont point noyé dans leurs eaux noires
Invisiblement tu demeures le même
Jeune homme blond front pur ô corps doré
Et je n'écoute pas ceux qui me consolent à dire
Combien les saisons t'ont changé
Tu es toujours cette nappe avec orgueil qu'on met sur la table
Mon ami beau comme la mémoire et comme elle sans un pli
Ah viens que je t'arrache encore à tes habits adverses
Impatiemment nu pour toujours devant moi
Couleur de sable odeur de pêche Ô par mégarde de retour
Amant d'un geste amant d'un jour
Dans l'ombre au loin bat le bruit lourd
Du balancier qui se dépêche
Laisse en moi durer le gémir
Que je me grise et je mo grise
Laisse en moi mourir la surprise Écoute mon cœur qui se brise
Prends un peu le temps de dormir
Ne t'en va pas
III
Il pleut
La pluie italienne de septembre
N'est ni jaune ni bleue il pleut sans éclipse il pleut plein les épaules pliées
Il pleut
Ni perles ni paroles ni paraphes d'épées
Ni poussières ni claques ni paniques d'eau
Ni passages de pétrels pétrole d'air
Désespoir de nuées
Il pleut tout simplement il pleut sans un pli sans une plaie
Sans gifles aux palais plaquant
Sans plomb de grêle
Sans trombes de sel sur les places
D pleut sans plus
Avec une persévérance égale et jamais lasse
Et la paupière pâle et pauvre du ciel ne se relève nulle part sur ses pleurs
Perpétuels on ne voit plus l'œil pur de l'été sur la vie
On ne voit plus rien que la pluie
Une pluie éparse ou épaisse
Sur le piano plat des toits de par ici
Un plasma tournoyant au platine des platanes
Un plâtrage d'air une polarisation de poudre une précipitation
De neigo ou de plume un instant par l'espace perdue
Une possession parallèle une obstination pathétique
Il pleut pleut pleut sur la pensée il pleut
Quand on te connaît mieux pays de salpêtre et de pourriture
Pays pénétré de vents implacables
Empli de parfums spectraux et de plaintes soufflées
Pays qui dépéris comme la paille et sécrètes
Une puanteur d'ombre moisie à tes portes béantes 0 cruelle putain déjà cadavre et toujours reine
Quand on en vient
Italie à te haïr de tant t'aimer
Quand on a reconnu dans tes yeux l'abîme des aveugles
Dans tes paumes le prix cynique du plaisir
Dans tes ruisseaux le bran
Quand on sait enfin qu'à ton seuil
Il n'y a place que pour la cendre et la boue
Et que ton chant n'est que misère et tromperie
Alors on se soulève comme on peut des poignets sur ton corps de pierre
Epave (qui se traîne à peine à tes pavés
On approche son front des fenêtres obscures
On regarde au-dedans l'extinction des lampes
On regarde au-dehors la longue peur des murs
On écoute les pas lointains les voix plagales
On voit qu'il pleut qu'il pleut qu'il pleut
Nulle part je n'ai senti la présence de la mort ses parages proches
Comme à
Milan tout entière pareille au lendemain d'un lupanar
Ce
Campo-Santo déchirant sans parler ses suaires de marbre
Et nulle part comme à
Milan je n'ai touché du doigt le sépulcre
Je n'ai par lambeaux senti de moi ma peau partir épouse pervertie
Nulle part je n'ai si profondément compris la décomposition de la chair
Le froid qui s'empare de l'homme et le fait la proie affreuse du fer
D'un crocheteur distrait paresseux et pressé
Nulle part comme à
Milan quand il pleut
Quand il pleut
Et
Marceline a renoncé par force à voir
Rome et
Naples
Il n'y aura pas de sacre au
Dôme
On ne fera pas un
Roi de l'empereur
L'imprésario n'a plus d'argent il n'y aura pas de tournée
On ne peut même pas partir
II faut rester dans cette pluie
Oubliant peu à peu tout ce qui n'est pas la pitié des vêtements et du ventre
Oubliant la peinture et la
Romance du
Saule à la
Scala
Oubliant le sommeil et le soleil des rêves
Oubliant jusqu'au cri terrible de l'amour
Parce qu'il pleut
Marceline parce qu'il
Pleut
Et qu'il faut compter les mailles de la pluie
Assise sur une malle attendre et coudre entendre
Sourdre dans les tiens ce désespoir à demeurer
Là quand il pleut
Attendre et coudre coudre coudre quand il pleut
Quand il pleut et que la pluie chante
Sur les toits un air d'opéra
Ma mère avait une servante
Qui s'appelait
Barbara
Poème publié et mis à jour le: 15 November 2012